Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/281

Cette page a été validée par deux contributeurs.

là où il n’existe que des sentiments ! La dissipation dans laquelle te jetait la vie d’une femme à la mode ; la pente d’un caractère facile et ta vanité peut-être ont fourni les moyens de se débarrasser de toi par une ruine habilement concertée. De tout ceci, tu concluras, mon bon ami, que le mandat dont tu me chargeais et dont je me serais d’autant plus glorieusement acquitté qu’il m’aurait amusé, se trouve comme nul et non avenu. Le mal à prévenir est accompli, consummatum est. Pardonne-moi, mon ami, de t’écrire à la de Marsay, comme tu disais, sur des choses qui doivent te paraître graves. Loin de moi l’idée de pirouetter sur la tombe d’un ami, comme les héritiers sur celle d’un parent. Mais tu m’as écrit que tu devenais homme, je te crois, je te traite en politique et non en amoureux. Pour toi, cet accident n’est-il pas comme la marque à l’épaule qui décide un forçat à se jeter dans une vie d’opposition systématique et à combattre la société ? Te voilà dégagé d’un souci : le mariage te possédait, tu possèdes maintenant le mariage. Paul, je suis ton ami dans toute l’acception du mot. Si tu avais eu la cervelle cerclée dans un crâne d’airain, si tu avais eu l’énergie qui t’est venue trop tard, je t’aurais prouvé mon amitié par des confidences qui t’auraient fait marcher sur l’humanité comme sur un tapis. Mais quand nous causions des combinaisons auxquelles j’ai dû la faculté de m’amuser avec quelques amis au sein de la civilisation parisienne, comme un bœuf dans la boutique d’un faïencier ; quand je te racontais sous des formes romanesques les véritables aventures de ma jeunesse, tu les prenais en effet pour des romans, sans en voir la portée. Aussi n’ai-je pu te considérer que comme une passion malheureuse. Hé ! bien, foi d’homme, dans les circonstances actuelles tu joues le beau rôle, et tu n’as rien perdu de ton crédit auprès de moi, comme tu pourrais le croire. Si j’admire les grands fourbes, j’estime et j’aime les gens trompés. À propos de ce médecin qui a si mal fini, conduit à l’échafaud par son amour pour une maîtresse, je t’ai raconté l’histoire bien autrement belle de ce pauvre avocat qui vit, dans je ne sais quel bagne, marqué pour un faux, et qui voulait donner à sa femme, une femme adorée aussi ! trente mille livres de rentes ; mais que sa femme a dénoncé pour se débarrasser de lui et vivre avec un monsieur. Tu t’es récrié, toi et quelques niais qui soupaient avec nous. Eh ! bien, mon cher, tu es l’avocat, moins le bagne. Tes amis ne te font pas grâce de la considération qui, dans notre société, vaut un jugement de cour d’as-