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bien tranquille, mon adoré, relativement aux choses qui touchent à ton honneur. N’est-il pas le mien ? Mes diamants seront engagés. Nous allons, ma mère et moi, employer toutes nos ressources pour acquitter intégralement tes dettes, et tâcher de racheter ton clos de Belle-Rose. Ma mère, qui s’entend aux affaires comme un vrai procureur, t’a bien blâmé de ne pas t’être ouvert à elle. Elle n’aurait pas acheté, croyant te faire plaisir, le domaine de Grainrouge, qui se trouvait enclavé dans tes terres, et t’aurait pu prêter cent trente mille francs. Elle est au désespoir du parti que tu as pris. Elle craint pour toi le séjour des Indes. Elle te supplie d’être sobre, de ne pas te laisser séduire par les femmes… Je me suis mise à rire. Je suis sûre de toi comme de moi-même. Tu me reviendras riche et fidèle. Moi seule au monde connais ta délicatesse de femme et tes sentiments secrets qui font de toi comme une délicieuse fleur humaine digne du ciel. Les Bordelais avaient bien raison de te donner ton joli surnom. Qui donc soignera ma fleur délicate ? J’ai le cœur percé par d’horribles idées. Moi sa femme, sa Natalie, être ici, quand déjà peut-être il souffre ! Et moi, si bien unie à toi, ne pas partager tes peines, tes traverses, tes périls ! À qui te confieras-tu ? Comment as-tu pu te passer de l’oreille à qui tu disais tout ? Chère sensitive emportée par un orage, pourquoi t’es-tu déplantée du seul terrain où tu pourrais développer tes parfums ? Il me semble que je suis seule depuis deux siècles, j’ai froid aussi dans Paris. J’ai déjà bien pleuré. Être la cause de ta ruine ! quel texte aux pensées d’une femme aimante ! tu m’as traitée en enfant à qui l’on donne tout ce qu’il demande, en courtisane pour laquelle un étourdi mange sa fortune. Ah ! ta prétendue délicatesse a été une insulte. Crois-tu que je ne pouvais me passer de toilette, de bals, d’Opéra, de succès ? Suis-je une femme légère ? Crois-tu que je ne puisse concevoir des pensées graves, servir à la fortune aussi bien que je servais à tes plaisirs ? Si tu n’étais pas loin de moi, souffrant et malheureux, vous seriez bien grondé, monsieur, de tant d’impertinence. Ravaler votre femme à ce point ! Mon Dieu ! pourquoi donc allais-je dans le monde ? pour flatter ta vanité ; je me parais pour toi, tu le sais bien. Si j’avais des torts, je serais bien cruellement punie ; ton absence est une bien dure expiation de notre vie intime. Cette joie était trop complète : elle devait se payer par quelque grande douleur, et la voici venue ! Après ces bonheurs si soigneusement voilés aux regards curieux du monde,