Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/255

Cette page a été validée par deux contributeurs.

hommes et les choses ; j’ai vu bien des ménages brouillés par l’amour aveugle de mères qui se rendaient insupportables à leurs filles autant qu’à leurs gendres. L’affection des vieilles gens est souvent minutieuse et tracassière. Peut-être ne saurais-je pas bien m’éclipser. J’ai la faiblesse de me croire encore belle, il y a des flatteurs qui veulent me prouver que je suis aimable, j’aurais des prétentions gênantes. Laissez-moi faire un sacrifice de plus à votre bonheur : je vous ai donné ma fortune, eh ! bien, je vous livre encore mes dernières vanités de femme. Votre père Mathias est vieux, il ne pourrait pas veiller sur vos propriétés ; moi je me ferai votre intendant, je me créerai des occupations que, tôt ou tard, doivent avoir les vieilles gens ; puis, quand il le faudra, je viendrai vous seconder à Paris dans vos projets d’ambition. Allons, Paul, soyez franc, ma résolution vous arrange, dites ?

Paul ne voulut jamais en convenir, mais il était très-heureux d’avoir sa liberté. Les soupçons que le vieux notaire lui avait inspirés sur le caractère de sa belle-mère furent en un moment dissipés par cette conversation, que madame Évangélista reprit et continua sur ce ton.

— Ma mère avait raison, se dit Natalie qui observa la physionomie de Paul. Il est fort content de me savoir séparée d’elle, pourquoi ?

Ce pourquoi n’était-il pas la première interrogation de la défiance, et ne donnait-il pas une autorité considérable aux enseignements maternels ?

Il est certains caractères qui, sur la foi d’une seule preuve, croient à l’amitié. Chez les gens ainsi faits, le vent du nord chasse aussi vite les nuages que le vent d’ouest les amène ; ils s’arrêtent aux effets sans remonter aux causes. Paul était une de ces natures essentiellement confiantes, sans mauvais sentiments, mais aussi sans prévisions. Sa faiblesse procédait beaucoup plus de sa bonté, de sa croyance au bien, que d’une débilité d’âme.

Natalie était songeuse et triste, car elle ne savait pas se passer de sa mère. Paul, avec cette espèce de fatuité que donne l’amour, se riait de la mélancolie de sa future femme, en se disant que les plaisirs du mariage et l’entraînement de Paris la dissiperaient. Madame Évangélista voyait avec un sensible plaisir la confiance de Paul, car la première condition de la vengeance est la dissimulation. Une haine avouée est impuissante. La créole avait déjà fait