Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, III.djvu/210

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Paul était dans une sorte d’extase en entendant cette transaction. Le vieux notaire voyant le piége tendu, son client un pied déjà pris, resta pétrifié, se disant : — Je crois que l’on se joue de nous !

— Si madame suit mon conseil, elle assurera sa tranquillité, dit le jeune notaire en continuant. En se sacrifiant, au moins ne faut-il pas que des mineurs la tracassent. On ne sait ni qui vit ni qui meurt ! Monsieur le comte reconnaîtra donc par le contrat avoir reçu la somme totale revenant à mademoiselle Évangélista sur la succession de son père.

Mathias ne put comprimer l’indignation qui brilla dans ses yeux et lui colora la face.

— Et cette somme, dit-il en tremblant, est de… ?

— Un million cent cinquante-six mille francs, suivant l’acte…

— Pourquoi ne demandez-vous pas à monsieur le comte de faire hic et nunc le délaissement de sa fortune à sa future épouse ? dit Mathias, ce serait plus franc que ce que vous nous demandez. La ruine du comte de Manerville ne s’accomplira pas sous mes yeux, je me retire.

Il fit un pas vers la porte afin d’instruire son client de la gravité des circonstances ; mais il revint, et s’adressant à madame Évangélista : — Ne croyez pas, madame, que je vous fasse solidaire des idées de mon confrère, je vous tiens pour une honnête femme, une grande dame qui ne savez rien des affaires.

— Merci, mon cher confrère, dit Solonet.

— Vous savez bien qu’entre nous il n’y a jamais d’injure, lui répondit Mathias. Madame, sachez au moins le résultat de ces stipulations. Vous êtes encore assez jeune, assez belle pour vous remarier. — Oh ! mon Dieu, madame, dit le vieillard à un geste de madame Évangélista, qui peut répondre de soi !

— Je ne croyais pas, monsieur, dit madame Évangélista qu’après être restée veuve pendant sept belles années et avoir refusé de brillants partis par amour de ma fille, je serais soupçonnée à trente-neuf ans d’une semblable folie ! Si nous n’étions pas en affaire, je prendrais cette supposition pour une impertinence.

— Ne serait-il pas plus impertinent de croire que vous ne pouvez plus vous marier ?

— Vouloir et pouvoir sont deux termes bien différents, dit galamment Solonet.

— Hé ! bien, dit maître Mathias, ne parlons pas de votre mariage.