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fou, s’il survenait des discussions auxquelles il serait étranger, et par-dessus lesquelles il faudrait qu’il passât, pour toi comme pour moi, Natalie, hein ? Si, sans blesser aucunement les convenances, un peu de gentillesse dans les manières le décidait ? Allons, un rien, un mot ? Les hommes sont ainsi faits, ils résistent à une discussion sérieuse et tombent sous un regard.

— J’entends ! un petit coup pour que Favori saute la barrière, dit Natalie en faisant le geste de donner un coup de cravache à son cheval.

— Mon ange, je ne te demande rien qui ressemble à de la séduction. Nous avons des sentiments de vieil honneur castillan qui ne nous permettent pas de passer les bornes. Le comte Paul connaîtra ma situation.

— Quelle situation ?

— Tu n’y comprendrais rien. Hé ! bien, si, après t’avoir vue dans toute ta gloire, son regard trahissait la moindre hésitation, et je l’observerai ! certes, à l’instant je romprais tout, je saurais liquider ma fortune, quitter Bordeaux et aller à Douai chez les Claës, qui, malgré tout, sont nos parents par leur alliance avec les Temninck. Puis je te marierais à un pair de France, dussé-je me réfugier dans un couvent afin de te donner toute ma fortune.

— Ma mère, que faut-il donc faire pour empêcher de tels malheurs ? dit Natalie.

— Je ne t’ai jamais vue si belle, mon enfant ! Sois un peu coquette, et tout ira bien.

Madame Évangélista laissa Natalie pensive, et alla faire une toilette qui lui permît de soutenir le parallèle avec sa fille. Si Natalie devait être attrayante pour Paul, ne devait-elle pas enflammer Solonet, son champion ? La mère et la fille se trouvèrent sous les armes quand Paul vint apporter le bouquet que depuis quelques mois il avait l’habitude de donner chaque jour à Natalie. Puis tous trois se mirent à causer en attendant les deux notaires.

Cette journée fut pour Paul la première escarmouche de cette longue et fatigante guerre nommée le mariage. Il est donc nécessaire d’établir les forces de chaque parti, la position des corps belligérants et le terrain sur lequel ils devaient manœuvrer. Pour soutenir une lutte dont l’importance lui échappait entièrement, Paul avait pour tout défenseur son vieux notaire, Mathias. L’un et l’autre allaient être surpris sans défense par un événement inattendu,