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qualités nobles. Quoique les contours de son visage eussent quelque chose d’auguste, le menton de Natalie était légèrement empâté, expression de peintre qui peut servir à expliquer la préexistence de sentiments dont la violence ne devait se déclarer qu’au milieu de sa vie. Sa bouche, un peu rentrée, exprimait une fierté rouge en harmonie avec sa main, son menton, ses sourcils et sa belle taille. Enfin, dernier diagnostic qui seul aurait déterminé le jugement d’un connaisseur, la voix pure de Natalie, cette voix si séduisante avait des tons métalliques. Quelque doucement manié que fût ce cuivre, malgré la grâce avec laquelle les sons couraient dans les spirales du cor, cet organe annonçait le caractère du duc d’Albe de qui descendaient collatéralement les Casa-Réal. Ces indices supposaient des passions violentes sans tendresse, des dévouements brusques, des haines irréconciliables, de l’esprit sans intelligence, et l’envie de dominer, naturelle aux personnes qui se sentent inférieures à leurs prétentions. Ces défauts, nés du tempérament et de la constitution, compensés peut-être par les qualités d’un sang généreux, étaient ensevelis chez Natalie comme l’or dans la mine, et ne devaient en sortir que sous les durs traitements et par les chocs auxquels les caractères sont soumis dans le monde. En ce moment la grâce et la fraîcheur de la jeunesse, la distinction de ses manières, sa sainte ignorance, la gentillesse de la jeune fille coloraient ses traits d’un vernis délicat qui trompait nécessairement les gens superficiels. Puis sa mère lui avait de bonne heure communiqué ce babil agréable qui joue la supériorité, qui répond aux objections par la plaisanterie, et séduit par une gracieuse volubilité sous laquelle une femme cache le tuf de son esprit comme la nature déguise les terrains ingrats sous le luxe des plantes éphémères. Enfin, Natalie avait le charme des enfants gâtés qui n’ont point connu la souffrance : elle entraînait par sa franchise, et n’avait point cet air solennel que les mères imposent à leurs filles en leur traçant un programme de façons et de langage ridicules au moment de les marier. Elle était rieuse et vraie comme la jeune fille qui ne sait rien du mariage, n’en attend que des plaisirs, n’y prévoit aucun malheur, et croit y acquérir le droit de toujours faire ses volontés. Comment Paul, qui aimait comme on aime quand le désir augmente l’amour, aurait-il reconnu dans une fille de ce caractère et dont la beauté l’éblouissait, la femme telle qu’elle devait être à trente ans, alors que certains observateurs eussent pu