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semblait encore chaude de la chaleur qu’elle y entretenait. Comment se fait-il que mademoiselle Armande-Louise-Marie de Chaulieu soit obligée, comme une paysanne, de se coucher dans le lit de sa mère, presque le jour de sa mort ? car il me semblait que la princesse, morte en 1817, avait expiré la veille. Cette chambre m’offrait des choses qui ne devaient pas s’y trouver, et qui prouvaient combien les gens occupés des affaires du royaume sont insouciants des leurs, et combien, une fois morte, on a peu pensé à cette noble femme, qui sera l’une des grandes figures féminines du dix-huitième siècle. Philippe a quasiment compris d’où venaient mes larmes. Il m’a dit que par son testament la princesse m’avait légué ses meubles. Mon père laissait d’ailleurs les grands appartements dans l’état où les avait mis la Révolution. Je me suis levée alors, Philippe m’a ouvert la porte du petit salon qui donne sur l’appartement de réception, et je l’ai retrouvé dans le délabrement que je connaissais : les dessus de portes qui contenaient des tableaux précieux montrent leurs trumeaux vides, les marbres sont cassés, les glaces ont été enlevées. Autrefois, j’avais peur de monter le grand escalier et de traverser la vaste solitude de ces hautes salles, j’allais chez la princesse par un petit escalier qui descend sous la voûte du grand et qui mène à la porte dérobée de son cabinet de toilette.

L’appartement, composé d’un salon, d’une chambre à coucher, et de ce joli cabinet en vermillon et or dont je t’ai parlé, occupe le pavillon du côté des Invalides. L’hôtel n’est séparé du boulevard que par un mur couvert de plantes grimpantes, et par une magnifique allée d’arbres qui mêlent leurs touffes à celles des ormeaux de la contre-allée du boulevard. Sans le dôme or et bleu, sans les masses grises des Invalides, on se croirait dans une forêt. Le style de ces trois pièces et leur place annoncent l’ancien appartement de parade des duchesses de Chaulieu, celui des ducs doit se trouver dans le pavillon opposé ; tous deux sont décemment séparés par les deux corps de logis et par le pavillon de la façade où sont ces grandes salles obscures et sonores que Philippe me montrait encore dépouillées de leur splendeur, et telles que je les avais vues dans mon enfance. Philippe prit un air confidentiel en voyant l’étonnement peint sur ma figure. Ma chère, dans cette maison diplomatique, tous les gens sont discrets et mystérieux. Il me dit alors qu’on attendait une loi par laquelle on rendrait aux émigrés la valeur de leurs biens. Mon père recule la restauration de son hôtel jusqu’au moment de cette