Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/82

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du mur, de la crête du mur sur mon balcon ; et, s’il faisait ce que je désire, je le foudroierais de mon mépris. Tu vois, je suis d’une bonne foi terrible. Qui m’arrête ? quelle puissance mystérieuse m’empêche de dire à ce cher Felipe tout le bonheur qu’il me verse à flots par son amour pur, entier, grand, secret, plein ? Madame de Mirbel fait mon portrait, je compte le lui donner, ma chère. Ce qui me surprend chaque jour davantage, est l’activité que l’amour donne à la vie. Quel intérêt prennent les heures, les actions, les plus petites choses ! et quelle admirable confusion du passé, de l’avenir dans le présent ! On vit aux trois temps du verbe. Est-ce encore ainsi quand on a été heureuse ? Oh ! réponds-moi, dis-moi ce qu’est le bonheur, s’il calme ou s’il irrite. Je suis d’une inquiétude mortelle, je ne sais plus comment me conduire : il y a dans mon cœur une force qui m’entraîne vers lui, malgré la raison et les convenances. Enfin, je comprends ta curiosité avec Louis, es-tu contente ? Le bonheur que Felipe a d’être à moi, son amour à distance et son obéissance m’impatientent autant que son profond respect m’irritait quand il n’était que mon maître d’espagnol. Je suis tentée de lui crier quand il passe : — Imbécile, si tu m’aimes en tableau, que serait-ce donc si tu me connaissais !

Oh ! Renée, tu brûles mes lettres, n’est-ce pas ? moi, je brûlerai les tiennes. Si d’autres yeux que les nôtres lisaient ces pensées qui sont versées de cœur à cœur, je dirais à Felipe d’aller les crever et de tuer un peu les gens pour plus de sûreté.


Lundi.

Ah ! Renée, comment sonder le cœur d’un homme ? Mon père doit me présenter ton monsieur Bonald, et, puisqu’il est si savant, je le lui demanderai. Dieu est bien heureux de pouvoir lire au fond des cœurs. Suis-je toujours un ange pour cet homme ? Voilà toute la question.

Si jamais, dans un geste, dans un regard, dans l’accent d’une parole, j’apercevais une diminution de ce respect qu’il avait pour moi quand il était mon maître d’espagnol, je me sens la force de tout oublier ! Pourquoi ces grands mots, ces grandes résolutions ? te diras-tu. Ah ! voilà, ma chère. Mon charmant père, qui se conduit avec moi comme un vieux cavalier servant avec une Italienne, faisait faire, je te l’ai dit, mon portrait par madame de Mirbel. J’ai