Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/79

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et impitoyable, on a fait de chaque union une chose entièrement dissemblable, aussi dissemblable que le sont les individus entre eux ; chacune d’elles a ses lois intérieures différentes : celles d’un mariage à la campagne, où deux êtres seront sans cesse en présence, ne sont pas celles d’un ménage à la ville, où plus de distractions nuancent la vie ; et celles d’un ménage à Paris, où la vie passe comme un torrent, ne seront pas celles d’un mariage en province, où la vie est moins agitée. Si les conditions varient selon les lieux, elles varient bien davantage selon les caractères. La femme d’un homme de génie n’a qu’à se laisser conduire, et la femme d’un sot doit, sous peine des plus grands malheurs, prendre les rênes de la machine si elle se sent plus intelligente que lui. Peut-être, après tout, la réflexion et la raison arrivent-elles à ce qu’on appelle dépravation. Pour nous la dépravation, n’est-ce pas le calcul dans les sentiments ? Une passion qui raisonne est dépravée ; elle n’est belle qu’involontaire et dans ces sublimes jets qui excluent tout égoïsme. Ah ! tôt ou tard tu te diras, ma chère : Oui ! la fausseté est aussi nécessaire à la femme que son corset, si par fausseté on entend le silence de celle qui a le courage de se taire, si par fausseté l’on entend le calcul nécessaire de l’avenir. Toute femme mariée apprend à ses dépens les lois sociales qui sont incompatibles en beaucoup de points avec celles de la nature. On peut avoir en mariage une douzaine d’enfants, en se mariant à l’âge où nous sommes ; et, si nous les avions, nous commettrions douze crimes, nous ferions douze malheurs. Ne livrerions-nous pas à la misère et au désespoir de charmants êtres ? tandis que deux enfants sont deux bonheurs, deux bienfaits, deux créations en harmonie avec les mœurs et les lois actuelles. La loi naturelle et le code sont ennemis, et nous sommes le terrain sur lequel ils luttent. Appelleras-tu dépravation la sagesse de l’épouse qui veille à ce que la famille ne se ruine pas par elle-même ? Un seul calcul ou mille, tout est perdu dans le cœur. Ce calcul atroce, vous le ferez un jour, belle baronne de Macumer, quand vous serez la femme heureuse et fière de l’homme qui vous adore ; ou plutôt cet homme supérieur vous l’épargnera, car il le fera lui-même. Tu vois, chère folle, que nous avons étudié le code dans ses rapports avec l’amour conjugal. Tu sauras que nous ne devons compte qu’à nous-mêmes et à Dieu des moyens que nous employons pour perpétuer le bonheur au sein de nos maisons ; et mieux vaut le calcul qui y parvient que l’amour irréfléchi qui y