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venu pendant l’entr’acte se promener dans les corridors. Le premier secrétaire de l’ambassade d’Espagne me l’a dit en m’apprenant de lui une action qui est sublime. Étant duc de Soria, il devait épouser une des plus riches héritières de l’Espagne, la jeune princesse Marie Hérédia, dont la fortune eût adouci pour lui les malheurs de l’exil ; mais il paraît que, trompant les vœux de leurs pères qui les avaient fiancés dès leur enfance, Marie aimait le cadet de Soria, et mon Felipe a renoncé à la princesse Marie en se laissant dépouiller par le roi d’Espagne. — Il a dû faire cette grande chose très simplement, ai-je dit au jeune homme. — Vous le connaissez donc ? m’a-t-il répondu naïvement. Ma mère a souri. — Que va-t-il devenir ? car il est condamné à mort, ai-je dit. — S’il est mort en Espagne, il a le droit de vivre en Sardaigne. — Ah ! il y a aussi des tombes en Espagne ? dis-je pour avoir l’air de prendre cela en plaisanterie. — Il y a de tout en Espagne, même des Espagnols du vieux temps, m’a répondu ma mère. — Le roi de Sardaigne a, non sans peine, accordé au baron de Macumer un passe-port, a repris le jeune diplomate ; mais enfin il est devenu sujet sarde, il possède des fiefs magnifiques en Sardaigne, avec droit de haute et basse justice. Il a un palais à Sassari. Si Ferdinand VII mourait, Macumer entrerait vraisemblablement dans la diplomatie, et la cour de Turin en ferait un ambassadeur. Quoique jeune, il… — Ah ! il est jeune ! — Oui, mademoiselle, quoique jeune il est un des hommes les plus distingués de l’Espagne ! Je lorgnais la salle en écoutant le secrétaire, et semblais lui prêter une médiocre attention ; mais, entre nous, j’étais au désespoir d’avoir brûlé la lettre. Comment s’exprime un pareil homme quand il m’aime ? et il aime. Être aimée, adorée en secret, avoir dans cette salle où s’assemblent toutes les supériorités de Paris un homme à soi, sans que personne le sache ! Oh ! Renée, j’ai compris alors la vie parisienne, et ses bals et ses fêtes. Tout a pris sa couleur véritable à mes yeux. On a besoin des autres quand on aime, ne fût-ce que pour les sacrifier à celui qu’on aime. J’ai senti dans mon être un autre être heureux. Toutes mes vanités, mon amour-propre, mon orgueil étaient caressés. Dieu sait quel regard j’ai jeté sur le monde ! — Ah ! petite commère ! m’a dit à l’oreille la duchesse en souriant. Oui, ma très rusée mère a deviné quelque secrète joie dans mon attitude, et j’ai baissé pavillon devant cette savante femme. Ces trois mots m’ont plus appris la science du monde que je n’en avais surpris depuis un an, car nous sommes en mars. Hélas ! nous