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peut redevenir jeune fille. J’ai mieux aimé être mariée à Louis de l’Estorade que de retourner au couvent. Voilà qui est clair. Après avoir deviné que si je n’épousais pas Louis je retournerais au couvent, j’ai dû, en termes de jeune fille, me résigner. Résignée, je me suis mise à examiner ma situation afin d’en tirer le meilleur parti possible.

D’abord la gravité des engagements m’a investie de terreur. Le mariage se propose la vie, tandis que l’amour ne se propose que le plaisir ; mais aussi le mariage subsiste quand les plaisirs ont disparu, et donne naissance à des intérêts bien plus chers que ceux de l’homme et de la femme qui s’unissent. Aussi peut-être ne faut-il, pour faire un mariage heureux, que cette amitié qui, en vue de ses douceurs, cède sur beaucoup d’imperfections humaines. Rien ne s’opposait à ce que j’eusse de l’amitié pour Louis de l’Estorade. Bien décidée à ne pas chercher dans le mariage les jouissances de l’amour auxquelles nous pensions si souvent et avec une si dangereuse exaltation, j’ai senti la plus douce tranquillité en moi-même. Si je n’ai pas l’amour, pourquoi ne pas chercher le bonheur ? me suis-je dit. D’ailleurs, je suis aimée, et je me laisserai aimer. Mon mariage ne sera pas une servitude, mais un commandement perpétuel. Quel inconvénient cet état de choses offrira-t-il à une femme qui veut rester maîtresse absolue d’elle-même ?

Ce point si grave d’avoir le mariage sans le mari fut réglé dans une conversation entre Louis et moi, dans laquelle il m’a découvert et l’excellence de son caractère et la douceur de son âme. Ma mignonne, je souhaitais beaucoup de rester dans cette belle saison d’espérance amoureuse qui, n’enfantant point de plaisir, laisse à l’âme sa virginité. Ne rien accorder au devoir, à la loi, ne dépendre que de soi-même, et garder son libre arbitre ?… quelle douce et noble chose ! Ce contrat, opposé à celui des lois et au sacrement lui-même, ne pouvait se passer qu’entre Louis et moi. Cette difficulté, la première aperçue, est la seule qui ait fait traîner la conclusion de mon mariage. Si, dès l’abord, j’étais résolue à tout pour ne pas retourner au couvent, il est dans notre nature de demander le plus après avoir obtenu le moins ; et nous sommes, chère ange, de celles qui veulent tout. J’examinais mon Louis du coin de l’œil, et je me disais : le malheur l’a-t-il rendu bon ou méchant ? À force d’étudier, j’ai fini par découvrir que son amour allait jusqu’à la passion. Une fois arrivée à l’état d’idole, en le voyant pâlir et