Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/467

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans les circonstances où l’illégalité de vos sentiments pouvait être excusée, j’ai toujours remarqué les effets de je ne sais quel hasard, que vous pouvez appeler la Providence, accablant fatalement celles que nous nommons des femmes légères.

— J’espère, dit madame de Vandenesse, que nous pouvons être grandes autrement…

— Oh ! laissez le marquis de Montriveau nous prêcher, s’écria madame d’Espard.

— D’autant plus qu’il a beaucoup prêché d’exemple, dit la baronne de Nucingen.

— Ma foi, reprit le général, entre tous les drames, car vous vous servez beaucoup de ce mot-là, dit-il en regardant Blondet, où s’est montré le doigt de Dieu, le plus effrayant de ceux que j’ai vus a été presque mon ouvrage…

— Eh ! bien, dites-nous-le ? s’écria lady Barimore. J’aime tant à frémir !

— C’est un goût de femme vertueuse, répliqua de Marsay en regardant la charmante fille de lord Dudley.

— Pendant la campagne de 1812, dit alors le général Montriveau, je fus la cause involontaire d’un malheur affreux qui pourra vous servir, docteur Bianchon, dit-il en me regardant, vous qui vous occupez beaucoup de l’esprit humain en vous occupant du corps, à résoudre quelques-uns de vos problèmes sur la Volonté. Je faisais ma seconde campagne, j’aimais le péril et je riais de tout, en jeune et simple lieutenant d’artillerie que j’étais ! Lorsque nous arrivâmes à la Bérésina, l’armée n’avait plus, comme vous le savez, de discipline, et ne connaissait plus l’obéissance militaire. C’était un ramas d’hommes de toutes nations, qui allait instinctivement du nord au midi. Les soldats chassaient de leurs foyers un général en haillons et pieds nus quand il ne leur apportait ni bois ni vivres. Après le passage de cette célèbre rivière, le désordre ne fut pas moindre. Je sortais tranquillement, tout seul, sans vivres, des marais de Zembin, et j’allais cherchant une maison où l’on voulût bien me recevoir. N’en trouvant pas, ou chassé de celles que je rencontrais, j’aperçus heureusement, vers le soir, une mauvaise petite ferme de Pologne, de laquelle rien ne pourrait vous donner une idée, à moins que vous n’ayez vu les maisons de bois de la Basse-Normandie ou les plus pauvres métairies de la Beauce. Ces habitations consistent