Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/465

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’on représente les bras croisés, et qui a tout fait ! qui a été le plus beau pouvoir connu, le pouvoir le plus concentré, le plus mordant, le plus acide de tous les pouvoirs ; singulier génie qui a promené partout la civilisation armée sans la fixer nulle part ; un homme qui pouvait tout faire parce qu’il voulait tout ; prodigieux phénomène de volonté, domptant une maladie par une bataille, et qui cependant devait mourir de maladie dans son lit après avoir vécu au milieu des balles et des boulets ; un homme qui avait dans la tête un code et une épée, la parole et l’action ; esprit perspicace qui a tout deviné, excepté sa chute ; politique bizarre qui jouait les hommes à poignées par économie, et qui respecta trois têtes, celles de Talleyrand, de Pozzo di Borgo et de Metternich, diplomates dont la mort eût sauvé l’Empire français, et qui lui paraissaient peser plus que des milliers de soldats ; homme auquel, par un rare privilége, la nature avait laissé un cœur dans son corps de bronze ; homme rieur et bon à minuit entre des femmes, et, le matin, maniant l’Europe comme une jeune fille qui s’amuserait à fouetter l’eau de son bain ! Hypocrite et généreux, aimant le clinquant et simple, sans goût et protégeant les arts ; malgré ces antithèses, grand en tout par instinct ou par organisation ; César à vingt-cinq ans, Cromwell à trente ; puis, comme un épicier du Père La Chaise, bon père et bon époux. Enfin, il a improvisé des monuments, des empires, des rois, des codes, des vers, un roman, et le tout avec plus de portée que de justesse. N’a-t-il pas voulu faire de l’Europe la France ? Et, après nous avoir fait peser sur la terre de manière à changer les lois de la gravitation, il nous a laissés plus pauvres que le jour où il avait mis la main sur nous. Et lui, qui avait pris un empire avec son nom, perdit son nom au bord de son empire, dans une mer de sang et de soldats. Homme qui, tout pensée et tout action, comprenait Desaix et Fouché !

— Tout arbitraire et tout justice à propos, le vrai roi ! dit de Marsay.

— Ah ! quel blézir te tichérer en fus égoudant, dit le baron de Nucingen.

— Mais croyez-vous que ce que nous vous servons soit commun ? dit Blondet. S’il fallait payer les plaisirs de la conversation comme vous payez ceux de la danse ou de la musique, votre fortune n’y suffirait pas ! Il n’y a pas deux représentations pour le même trait d’esprit.