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tempéraments des convenances gardées, des passions anonymes menées entre deux rives à brisants. Elle redoute ses domestiques comme une Anglaise qui a toujours en perspective le procès en criminelle conversation. Cette femme si libre au bal, si jolie à la promenade, est esclave au logis ; elle n’a d’indépendance qu’à huis clos, ou dans les idées. Elle veut rester femme comme il faut. Voilà son thème. Or, aujourd’hui, la femme quittée par son mari, réduite à une maigre pension, sans voiture, ni luxe, ni loges, sans les divins accessoires de la toilette, n’est plus ni femme, ni fille, ni bourgeoise ; elle est dissoute et devient une chose. Les carmélites ne veulent pas une femme mariée, il y aurait bigamie ; son amant en voudra-t-il toujours ? là est la question. La femme comme il faut peut donner lieu peut-être à la calomnie, jamais à la médisance.

— Tout cela est horriblement vrai, dit la princesse de Cadignan.

— Aussi, reprit Blondet, la femme comme il faut vit-elle entre l’hypocrisie anglaise et la gracieuse franchise du dix-huitième siècle ; système bâtard qui révèle un temps où rien de ce qui succède ne ressemble à ce qui s’en va, où les transitions ne mènent à rien, où il n’y a que des nuances, où les grandes figures s’effacent, où les distinctions sont purement personnelles. Dans ma conviction, il est impossible qu’une femme, fût-elle née aux environs du trône, acquière avant vingt-cinq ans la science encyclopédique des riens, la connaissance des manéges, les grandes petites choses, les musiques de voix et les harmonies de couleurs, les diableries angéliques et les innocentes roueries, le langage et le mutisme, le sérieux et les railleries, l’esprit et la bêtise, la diplomatie et l’ignorance, qui constituent la femme comme il faut.

— D’après le programme que vous venez de nous tracer, dit mademoiselle Des Touches à Émile Blondet, où classeriez-vous la femme-auteur ? Est-ce une femme comme il faut ?

— Quand elle n’a pas de génie, c’est une femme comme il n’en faut pas, répondit Émile Blondet en accompagnant sa réponse d’un regard fin qui pouvait passer pour un éloge adressé franchement à Camille Maupin. Cette opinion n’est pas de moi, mais de Napoléon, ajouta-t-il.

— Oh ! n’en voulez pas à Napoléon, dit Daniel d’Arthez en laissant échapper un geste naïf, ce fut une de ses petitesses d’être jaloux du génie littéraire, car il a eu des petitesses. Qui pourra jamais expliquer, peindre ou comprendre Napoléon ? Un homme