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rose, mais vous avez été près d’elle, et vous vous couchez sous les lambris dorés d’un délicieux rêve qui se continuera peut-être lorsque le Sommeil aura, de son doigt pesant, ouvert les portes d’ivoire du temple des fantaisies. Chez elle, aucune femme comme il faut n’est visible avant quatre heures quand elle reçoit. Elle est assez savante pour vous faire toujours attendre. Vous trouverez tout de bon goût dans sa maison, son luxe est de tous les moments et se rafraîchit à propos ; vous ne verrez rien sous des cages de verre, ni les chiffons d’aucune enveloppe appendue comme un garde-manger. Vous aurez chaud dans l’escalier. Partout des fleurs égaieront vos regards ; les fleurs, seul présent qu’elle accepte, et de quelques personnes seulement : les bouquets ne vivent qu’un jour, donnent du plaisir et veulent être renouvelés ; pour elle, ils sont, comme en Orient, un symbole, une promesse. Les coûteuses bagatelles à la mode sont étalées, mais sans viser au musée ni à la boutique de curiosités. Vous la surprendrez au coin de son feu, sur sa causeuse, d’où elle vous saluera sans se lever. Sa conversation ne sera plus celle du bal. Ailleurs elle était votre créancière, chez elle son esprit vous doit du plaisir. Ces nuances, les femmes comme il faut les possèdent à merveille. Elle aime en vous un homme qui va grossir sa société, l’objet des soins et des inquiétudes se donnent aujourd’hui les femmes comme il faut. Aussi, pour vous fixer dans son salon, sera-t-elle d’une ravissante coquetterie. Vous sentez là surtout combien les femmes sont isolées aujourd’hui, pourquoi elles veulent avoir un petit monde à qui elles servent de constellation. La causerie est impossible sans généralités.

— Oui, dit de Marsay, tu saisis bien le défaut de notre époque. L’épigramme, ce livre en un mot, ne tombe plus, comme pendant le dix-huitième siècle, ni sur les personnes, ni sur les choses, mais sur des événements mesquins, et meurt avec la journée.

— Aussi l’esprit de la femme comme il faut, quand elle en a, reprit Blondet, consiste-t-il à mettre tout en doute, comme celui de la bourgeoise lui sert à tout affirmer. Là est la grande différence entre ces deux femmes : la bourgeoise a certainement de la vertu, la femme comme il faut ne sait pas si elle en a encore, ou si elle en aura toujours ; elle hésite et résiste là où l’autre refuse net pour tomber à plat. Cette hésitation en toute chose est une des dernières grâces que lui laisse notre horrible époque. Elle va rarement à l’église, mais elle parlera religion et