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de se demander : « M’aimes-tu ? m’aimeras-tu toujours ? » Je saisis ce moment élégiaque, si tiède, si fleuri, si épanoui, pour lui faire dire ses plus beaux mensonges dans le ravissant langage de ces exagérations spirituelles, et de cette poésie gasconne particulières à l’amour. Elle étala la fine fleur de ses tromperies : elle ne pouvait pas vivre sans moi, j’étais le seul homme qu’il y eût pour elle au monde, elle avait peur de m’ennuyer parce que ma présence lui ôtait tout son esprit ; près de moi, ses facultés devenaient tout amour ; elle était d’ailleurs trop tendre pour ne pas avoir des craintes ; elle cherchait depuis six mois le moyen de m’attacher éternellement, et il n’y avait que Dieu qui connaissait ce secret-là ; enfin elle faisait de moi son dieu !…

Les femmes qui entendaient alors de Marsay parurent offensées en se voyant si bien jouées, car il accompagna ces mots par des mines, par des poses de tête et des minauderies qui faisaient illusion.

— Au moment où j’allais croire à ces adorables faussetés, lui tenant toujours sa main moite dans la mienne, je lui dis : — Quand épouses-tu le duc ?… Ce coup de pointe était si direct, mon regard si bien affronté avec le sien, et sa main si doucement posée dans la mienne, que son tressaillement, si léger qu’il fût, ne put être entièrement dissimulé ; son regard fléchit sous le mien, une faible rougeur nuança ses joues : — Le duc ! Que voulez-vous dire ? répondit-elle en feignant un profond étonnement. — Je sais tout, repris-je ; et, dans mon opinion, vous ne devez plus tarder : il est riche, il est duc ; mais il est plus que dévot, il est religieux ! Aussi suis-je certain que vous m’avez été fidèle, grâce à ses scrupules. Vous ne sauriez croire combien il est urgent pour vous de le compromettre vis-à-vis de lui-même et de Dieu ; sans cela, vous n’en finiriez jamais. Est-ce un rêve ? dit-elle en faisant sur ses cheveux au-dessus du front, quinze ans avant la Malibran, le si célèbre geste de la Malibran. — Allons, ne fais pas l’enfant, mon ange, lui dis-je en voulant lui prendre les mains. Mais elle se croisa les mains sur la taille avec un petit air prude et courroucé. — Épousez-le, je vous le permets, repris-je en répondant à son geste par le vous de salon. Il y a mieux, je vous y engage. — Mais, dit-elle en tombant à mes genoux, il y a quelque horrible méprise : je n’aime que toi dans le monde ; tu peux m’en demander les preuves que tu voudras. — Relevez-vous, ma chère, et faites-moi l’honneur d’être franche. — Comme avec Dieu. — Doutez-vous de mon amour ? — Non. —