Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/422

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tait envers lui, je lui demandai, non sans quelques précautions oratoires, quel sentiment l’avait poussé à me faire payer de si énormes intérêts, et par quelle raison, voulant m’obliger, moi son ami, il ne s’était pas permis un bienfait complet. — Mon fils, je t’ai dispensé de la reconnaissance en te donnant le droit de croire que tu ne me devais rien ; aussi sommes-nous les meilleurs amis du monde. Cette réponse, monsieur, vous expliquera l’homme mieux que toutes les paroles possibles. — Mon parti est irrévocablement pris, me dit le comte. Préparez les actes nécessaires pour transporter à Gobseck la propriété de mes biens. Je ne me fie qu’à vous, monsieur, pour la rédaction de la contre-lettre par laquelle il déclarera que cette vente est simulée, et prendra l’engagement de remettre ma fortune administrée par lui comme il sait administrer, entre les mains de mon fils aîné, à l’époque de sa majorité. Maintenant, monsieur, il faut vous le dire : je craindrais de garder cet acte précieux chez moi. L’attachement de mon fils pour sa mère me fait redouter de lui confier cette contre-lettre. Oserais-je vous prier d’en être le dépositaire ? En cas de mort, Gobseck vous instituerait légataire de mes propriétés. Ainsi, tout est prévu. Le comte garda le silence pendant un moment et parut très-agité. — Mille pardons, monsieur, me dit-il après une pause, je souffre beaucoup, et ma santé me donne les plus vives craintes. Des chagrins récents ont troublé ma vie d’une manière cruelle, et nécessitent la grande mesure que je prends. — Monsieur, lui dis-je, permettez-moi de vous remercier d’abord de la confiance que vous avez en moi. Mais je dois la justifier en vous faisant observer que par ces mesures vous exhérédez complétement vos… autres enfants. Ils portent votre nom. Ne fussent-ils que les enfants d’une femme autrefois aimée, maintenant déchue, ils ont droit à une certaine existence. Je vous déclare que je n’accepte point la charge dont vous voulez bien m’honorer, si leur sort n’est pas fixé. Ces paroles tirent tressaillir violemment le comte. Quelques larmes lui vinrent aux yeux, il me serra la main en me disant : — Je ne vous connaissais pas encore tout entier. Vous venez de me causer à la fois de la joie et de la peine. Nous fixerons la part de ces enfants par les dispositions de la contre-lettre. Je le reconduisis jusqu’à la porte de mon étude, et il me sembla voir ses traits épanouis par le sentiment de satisfaction que lui causait cet acte de justice.

— Voila, Camille, comment de jeunes femmes s’embarquent sur