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rements de mon habit, mon habit avec ses manches, et les manches l’une par l’autre ; puis je l’avais boutonné soigneusement pour montrer le drap des revers, toujours un peu plus neuf que ne l’est le reste ; enfin, j’avais fait descendre mon pantalon sur mes bottes, artistement frottées dans l’herbe. Grâce à cette toilette de Gascon, j’espérais ne pas être pris pour l’ambulant de la sous-préfecture ; mais quand aujourd’hui je me reporte par la pensée à cette heure de ma jeunesse, je ris parfois de moi-même.

Tout à coup, au moment où je composais mon maintien, au détour d’une verte sinuosité, au milieu de mille fleurs éclairées par un chaud rayon de soleil, j’aperçus Juliette et son mari. La jolie petite fille tenait sa mère par la main, et il était facile de s’apercevoir que la comtesse avait hâté le pas en entendant la phrase ambiguë de son enfant. Étonnée à l’aspect d’un inconnu qui la saluait d’un air assez gauche, elle s’arrêta, me fit une mine froidement polie et une adorable moue qui, pour moi, révélait toutes ses espérances trompées. Je cherchai, mais vainement, quelques unes de mes belles phrases si laborieusement préparées. Pendant ce moment d’hésitation mutuelle, le mari put alors arriver en scène. Des myriades de pensées passèrent dans ma cervelle. Par contenance, je prononçai quelques mots assez insignifiants, demandant si les personnes présentes étaient bien réellement monsieur le comte et madame la comtesse de Montpersan. Ces niaiseries me permirent de juger d’un seul coup d’œil, et d’analyser, avec une perspicacité rare à l’âge que j’avais, les deux époux dont la solitude allait être si violemment troublée. Le mari semblait être le type des gentilshommes qui sont actuellement le plus bel ornement des provinces. Il portait de grands souliers à grosses semelles : je les place en première ligne, parce qu’ils me frappèrent plus vivement encore que son habit noir fané, son pantalon usé, sa cravate lâche et son col de chemise recroquevillé. Il y avait dans cet homme un peu du magistrat, beaucoup plus du conseiller de préfecture, toute l’importance d’un maire de canton auquel rien ne résiste, et l’aigreur d’un candidat éligible périodiquement refusé depuis 1816 ; incroyable mélange de bon sens campagnard et de sottises ; point de manières, mais la morgue de la richesse ; beaucoup de soumission pour sa femme, mais se croyant le maître, et prêt à se regimber dans les petites choses, sans avoir nul souci des affaires importantes ; du reste, une figure flétrie, très ridée, hâlée ; quelques cheveux gris, longs et plats, voilà l’homme. Mais la com-