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mémoire pour stimuler son amour. Elle repassa ses émotions et se sentit encore plus éprise par les misères que par les grandeurs. Aurait-elle baisé ce front couronné par le succès ? non. Elle trouvait une noblesse infinie aux dernières paroles que Nathan lui avait dites dans le boudoir de lady Dudley. Quelle sainteté dans cet adieu ! Quelle noblesse dans l’immolation d’un bonheur qui serait devenu son tourment à elle ! La comtesse avait souhaité des émotions dans sa vie ; elles abondaient terribles, cruelles, mais aimées. Elle vivait plus par la douleur que par le plaisir. Avec quelles délices elle se disait : Je l’ai déjà sauvé, je vais le sauver encore ! Elle l’entendait s’écriant : Il n’y a que les malheureux qui savent jusqu’où va l’amour ! quand il avait senti les lèvres de sa Marie posées sur son front.

— Es-tu malade ? lui dit son mari qui vint dans sa chambre la chercher pour le déjeuner.

— Je suis horriblement tourmentée du drame qui se joue chez ma sœur, dit-elle sans faire de mensonge.

— Elle est tombée en de bien mauvaises mains ; c’est une honte pour une famille que d’y avoir un du Tillet, un homme sans noblesse ; s’il arrivait quelque désastre à votre sœur, elle ne trouverait guère de pitié chez lui.

— Quelle est la femme qui s’accommode de la pitié ? dit la comtesse en faisant un mouvement convulsif. Impitoyables, votre rigueur est une grâce pour nous.

— Ce n’est pas d’aujourd’hui que je vous sais noble de cœur, dit Félix en baisant la main de sa femme et tout ému de cette fierté. Une femme qui pense ainsi n’a pas besoin d’être gardée.

— Gardée ?… reprit-elle, autre honte qui retombe sur vous.

Félix sourit, mais Marie rougissait. Quand une femme est secrètement en faute, elle monte ostensiblement l’orgueil féminin au plus haut point. C’est une dissimulation d’esprit dont il faut leur savoir gré. La tromperie est alors pleine de dignité, sinon de grandeur. Marie écrivit deux lignes à Nathan sous le nom de monsieur Quillet, pour lui dire que tout allait bien, et les envoya par un commissionnaire à l’hôtel du Mail. Le soir, à l’Opéra, la comtesse eut les bénéfices de ses mensonges, car son mari trouva très-naturel qu’elle quittât sa loge pour aller voir sa sœur. Félix attendit pour lui donner le bras que du Tillet eût laissé sa femme seule. De quelles émotions Marie fut agitée en traversant le corridor, en entrant