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nait travailler jusqu’à huit ou neuf heures, il dormait à peine, se réveillait pour concerter les opinions du journal avec les gens influents desquels il dépendait, pour débattre les mille et une affaires intérieures. Le journalisme touche à tout dans cette époque, à l’industrie, aux intérêts publics et privés, aux entreprises nouvelles, à tous les amours-propres de la littérature et à ses produits. Quand harassé, fatigué, Nathan courait de son bureau de rédaction au Théâtre, du Théâtre à la Chambre, de la Chambre chez quelques créanciers ; il devait se présenter calme, heureux devant Marie, galoper à sa portière avec le laissez-aller d’un homme sans soucis et qui n’a d’autres fatigues que celles du bonheur. Quand, pour prix de tant de dévouements ignorés, il n’eut que les plus douces paroles, les certitudes les plus mignonnes d’un attachement éternel, d’ardents serrements de main obtenus pendant quelques secondes de solitude, des mots passionnés en échange des siens, il trouva quelque duperie à laisser ignorer le prix énorme avec lequel il payait ces menus suffrages, auraient dit nos pères. L’occasion de s’expliquer ne se fit pas attendre. Par une belle journée du mois d’avril, la comtesse accepta le bras de Nathan dans un endroit écarté du bois de Boulogne ; elle avait à lui faire une de ces jolies querelles à propos de ces riens sur lesquels les femmes savent bâtir des montagnes. Au lieu de l’accueillir le sourire sur les lèvres, le front illuminé par le bonheur, les yeux animés de quelque pensée fine et gaie, elle se montra grave et sérieuse.

— Qu’avez-vous ? lui dit Nathan.

— Ne vous occupez pas de ces riens, dit-elle ; vous devez savoir que les femmes sont des enfants.

— Vous aurais-je déplu ?

— Serais-je ici ?

— Mais vous ne me souriez pas, vous ne paraissez pas heureuse de me voir.

— Je vous boude, n’est-ce pas ? dit-elle en le regardant de cet air soumis par lequel les femmes se posent en victimes.

Nathan fit quelques pas dans une appréhension qui lui serrait le cœur et l’attristait.

— Ce sera, dit-il après un moment de silence, quelques-unes de ces craintes frivoles, de ces soupçons nuageux que vous mettez au-dessus des plus grandes choses de la vie ; vous avez l’art de faire pencher le monde en y jetant un brin de paille, un fétu !