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— Cette alliance est au moins bizarre, dit de Marsay en enveloppant d’un coup d’œil la comtesse Félix et Raoul.

— Elle ne durera pas, dit Rastignac qui pensait un peu trop à la politique comme tous les nouveaux venus.

— Qu’en dites-vous, ma chère amie ? demanda madame d’Espard à la comtesse.

— Je n’entends rien à la politique.

— Vous vous y mettrez, madame, dit de Marsay, et vous serez alors doublement notre ennemie.

Nathan et Marie ne comprirent le mot que quand de Marsay fut parti. Rastignac le suivit, et madame d’Espard les accompagna jusqu’à la porte de son premier salon. Les deux amants ne pensèrent plus aux épigrammes du ministre, ils se voyaient riches de quelques minutes. Marie tendit sa main vivement dégantée à Raoul, qui la prit et la baisa comme s’il n’avait eu que dix-huit ans. Les yeux de la comtesse exprimaient une noble tendresse si entière que Raoul eut aux yeux cette larme que trouvent toujours à leur service les hommes à tempérament nerveux.

Où vous voir, où pouvoir vous parler ? dit-il. Je mourrais s’il fallait toujours déguiser ma voix, mon regard, mon cœur, mon amour.

Émue par cette larme, Marie promit d’aller se promener au bois toutes les fois que le temps ne serait pas détestable. Cette promesse causa plus de bonheur à Raoul que ne lui en avait donné Florine pendant cinq ans.

— J’ai tant de choses à vous dire ! Je souffre tant du silence auquel nous sommes condamnés !

La comtesse le regardait avec ivresse sans pouvoir répondre, quand la marquise rentra.

— Comment, vous n’avez rien su répondre à de Marsay ? dit-elle en entrant.

— On doit respecter les morts, répondit Raoul. Ne voyez-vous pas qu’il expire ? Rastignac est son garde-malade, il espère être mis sur le testament.

La comtesse feignit d’avoir des visites à faire et voulut sortir pour ne pas se compromettre. Pour ce quart d’heure, Raoul avait sacrifié son temps le plus précieux et ses intérêts les plus palpitants. Marie ignorait encore les détails de cette vie d’oiseau sur la bran-