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— D’après ce que j’ai compris, lui dit Florine en se montrant soudain, tu vas faire de la politique au lieu de faire du théâtre.

— Oui, ma fille, oui, dit avec un ton de bonhomie Raoul en la prenant par le cou et en la baisant au front. Tu fais la moue ? Y perdras-tu ? le ministre ne fera-t-il pas obtenir mieux que le journaliste à la reine des planches un meilleur engagement ? N’auras-tu pas des rôles et des congés ?

— Où prendras-tu de l’argent ? dit-elle.

— Chez mon oncle, répondit Raoul.

Florine connaissait l’oncle de Raoul. Ce mot symbolisait l’usure, comme dans la langue populaire ma tante signifie le prêt sur gage.

— Ne t’inquiète pas, mon petit bijou, dit Blondet à Florine en lui tapotant ses épaules, je lui procurerai l’assistance de Massol, un avocat qui veut être garde des sceaux, de du Tillet qui veut être député, de Finot qui se trouve encore derrière un petit journal, de Plantin qui veut être maître des requêtes et qui trempe dans une Revue. Oui, je le sauverai de lui-même : nous convoquerons ici Étienne Lousteau qui fera le feuilleton, Claude Vignon qui fera la haute critique ; Félicien Vernou sera la femme de ménage du journal, l’avocat travaillera, du Tillet s’occupera de la Bourse et de l’Industrie, et nous verrons où toutes ces volontés et ces esclaves réunis arriveront.

— À l’hôpital ou au ministère, où vont les gens ruinées de corps ou d’esprit, dit Raoul.

— Quand les traitez-vous ?

— Ici, dit Raoul, dans cinq jours.

— Tu me diras la somme qu’il faudra, demanda simplement Florine.

— Mais l’avocat, mais du Tillet et Raoul ne peuvent pas s’embarquer sans chacun une centaine de mille francs, dit Blondet. Le journal ira bien ainsi pendant dix-huit mois, le temps de s’élever ou de tomber à Paris.

Florine fit une petite moue d’approbation. Les deux amis montèrent dans un cabriolet pour aller racoler les convives, les plumes, les idées et les intérêts.

La belle actrice fit venir, elle, quatre riches marchands de meubles de curiosités, de tableaux et de bijoux. Ces hommes entrèrent dans ce sanctuaire et y inventorièrent tout, comme si Florine était morte.