Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/233

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sa constitution. Ses membranes dures, ses os apparents, ont une solidité remarquable ; et quoique sa peau, tannée par des excès, s’y colle comme si des feux intérieurs l’avaient desséchée, elle n’en couvre pas moins une formidable charpente. Il est maigre et grand. Sa chevelure longue et toujours en désordre vise à l’effet. Ce Byron mal peigné, mal construit, a des jambes de héron, des genoux engorgés, une cambrure exagérée, des mains cordées de muscles, fermes comme les pattes d’un crabe, à doigts maigres et nerveux. Raoul a des yeux napoléoniens, des yeux bleus dont le regard traverse l’âme ; un nez tourmenté, plein de finesse ; une charmante bouche, embellie par les dents les plus blanches que puisse souhaiter une femme. Il y a du mouvement et du feu dans cette tête, et du génie sur ce front. Raoul appartient au petit nombre d’hommes qui vous frappent au passage, qui dans un salon forment aussitôt un point lumineux où vont tous les regards. Il se fait remarquer par son négligé, s’il est permis d’emprunter à Molière le mot employé par Éliante pour peindre le malpropre sur soi. Ses vêtements semblent toujours avoir été tordus, fripés, recroquevillés exprès pour s’harmonier à sa physionomie. Il tient habituellement l’une de ses mains dans son gilet ouvert, dans une pose que le portrait de monsieur de Chateaubriand par Girodet a rendue célèbre ; mais il la prend moins pour lui ressembler, il ne veut ressembler à personne, que pour déflorer les plis réguliers de sa chemise. Sa cravate est en un moment roulée sous les convulsions de ses mouvements de tête, qu’il a remarquablement brusques et vifs, comme ceux des chevaux de race qui s’impatientent dans leurs harnais et relèvent constamment la tête pour se débarrasser de leur mors ou de leurs gourmettes. Sa barbe longue et pointue n’est ni peignée, ni parfumée, ni brossée, ni lissée comme le sont celles des élégants qui portent la barbe en éventail ou en pointe ; il la laisse comme elle est. Ses cheveux, mêlés entre le collet de son habit et sa cravate, luxuriants sur les épaules, graissent les places qu’ils caressent. Ses mains sèches et filandreuses ignorent les soins de la brosse à ongles et le luxe du citron. Plusieurs feuilletonistes prétendent que les eaux lustrales ne rafraîchissent pas souvent leur peau calcinée. Enfin le terrible Raoul est grotesque. Ses mouvements sont saccadés comme s’ils étaient produits par une mécanique imparfaite. Sa démarche froisse toute idée d’ordre par des zigzags enthousiastes, par des suspensions inattendues qui lui font heurter