Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/228

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

même par le zéphyr : elle aurait voulu voir moduler cette glace. Son désir comportait je ne sais quoi d’enfantin qui devrait la faire excuser ; mais la société n’est pas plus indulgente que ne le fut le dieu de la Genèse. Devenue spirituelle, la comtesse comprenait admirablement combien ce sentiment devait être offensant, et trouvait horrible de le confier à son cher petit mari. Dans sa simplicité, elle n’avait pas inventé d’autre mot d’amour, car on ne forge pas à froid la délicieuse langue d’exagération que l’amour apprend à ses victimes au milieu des flammes. Vandenesse, heureux de cette adorable réserve, maintenait par ses savants calculs sa femme dans les régions tempérées de l’amour conjugal. Ce mari-modèle trouvait, d’ailleurs, indignes d’une âme noble les ressources du charlatanisme qui l’eussent grandi, qui lui eussent valu des récompenses de cœur ; il voulait plaire par lui-même, et ne rien devoir aux artifices de la fortune. La comtesse Marie souriait en voyant au bois un équipage incomplet ou mal attelé ; ses yeux se reportaient alors complaisamment sur le sien, dont les chevaux avaient une tenue anglaise, étaient libres dans leurs harnais, chacun à sa distance. Félix ne descendait pas jusqu’à ramasser les bénéfices des peines qu’il se donnait ; sa femme trouvait son luxe et son bon goût naturels ; elle ne lui savait aucun gré de ce qu’elle n’éprouvait aucune souffrance d’amour-propre. Il en était de tout ainsi. La bonté n’est pas sans écueils : on l’attribue au caractère, on veut rarement y reconnaître les efforts secrets d’une belle âme, tandis qu’on récompense les gens méchants du mal qu’ils ne font pas. Vers cette époque, madame Félix de Vandenesse était arrivée à un degré d’instruction mondaine qui lui permit de quitter le rôle assez insignifiant de comparse timide, observatrice, écouteuse, que joua, dit-on, pendant quelque temps, Giulia Grisi dans les chœurs au théâtre de la Scala. La jeune comtesse se sentait capable d’aborder l’emploi de prima donna, elle s’y hasarda plusieurs fois. Au grand contentement de Félix elle se mêla aux conversations. D’ingénieuses reparties et de fines observations semées dans son esprit par son commerce avec son mari la firent remarquer, et le succès l’enhardit. Vandenesse, à qui on avait accordé que sa femme était jolie, fut enchanté quand elle parut spirituelle. Au retour du bal, du concert, du rout, où Marie avait brillé, quand elle quittait ses atours, elle prenait un petit air joyeux et délibéré pour dire à Félix : — Avez-vous été content de moi ce soir ? La comtesse excita quel-