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du sentiment, avait été jetée dans les plus hautes sphères de la société parisienne, la bride sur le cou.

Madame de Vandenesse, qui succombait évidemment sous le poids de peines trop lourdes pour son âme, encore naïve après six ans de mariage, était étendue, les jambes à demi fléchies, le corps plié, la tête comme égarée sur le dos de la causeuse. Accourue chez sa sœur après une courte apparition aux Italiens, elle avait encore dans ses nattes quelques fleurs, mais d’autres gisaient éparses sur le tapis avec ses gants, sa pelisse de soie garnie de fourrures, son manchon et son capuchon. Des larmes brillantes mêlées à ses perles sur sa blanche poitrine, ses yeux mouillés annonçaient d’étranges confidences. Au milieu de ce luxe, n’était-ce pas horrible ? Napoléon l’a dit : Rien ici-bas n’est volé, tout se paie. Elle ne se sentait pas le courage de parler.

— Pauvre chérie, dit madame du Tillet, quelle fausse idée as-tu de mon mariage pour avoir imaginé de me demander du secours !

En entendant cette phrase arrachée au fond du cœur de sa sœur par la violence de l’orage qu’elle y avait versé, de même que la fonte des neiges soulève les pierres les mieux enfoncées au lit des torrents, la comtesse regarda d’un air stupide la femme du banquier, le feu de la terreur sécha ses larmes, et ses yeux demeurèrent fixes.

— Es-tu donc aussi dans un abîme, mon ange ? dit-elle à voix basse.

— Mes maux ne calmeront pas tes douleurs.

— Dis-les, chère enfant. Je ne suis pas encore assez égoïste pour ne pas t’écouter ! Nous souffrons donc encore ensemble comme dans notre jeunesse ?

— Mais nous souffrons séparés, répondit mélancoliquement la femme du banquier. Nous vivons dans deux sociétés ennemies. Je vais aux Tuileries quand tu n’y vas plus. Nos maris appartiennent à deux partis contraires. Je suis la femme d’un banquier ambitieux, d’un mauvais homme, mon cher trésor ! toi, tu es celle d’un bon être, noble, généreux…

— Oh ! pas de reproches, dit la comtesse. Pour m’en faire, une femme devrait avoir subi les ennuis d’une vie terne et décolorée, en être sortie pour entrer dans le paradis de l’amour ; il lui faudrait connaître le bonheur qu’on éprouve à sentir toute sa vie chez un autre, à épouser les émotions infinies d’une âme de poète, à vivre