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Gaston de Paris. Ton cher Gaston, comme tu dois l’imaginer, est accouru précipitamment à Paris. Voilà l’histoire de sa première course. Depuis cinq ans, il a mis de côté cinquante mille francs sur le revenu que tu l’as forcé de prendre, et il les a employés à deux inscriptions de chacune douze cents francs de rente au nom de ses neveux ; puis il a fait meubler cet appartement où demeure ta belle-sœur, en lui promettant trois mille francs tous les trois mois. Voilà l’histoire de ses travaux au théâtre et du plaisir que lui a causé le succès de sa première pièce. Ainsi madame Gaston n’est point ta rivale, et porte ton nom très-légitimement. Un homme noble et délicat comme Gaston a dû te cacher cette aventure en redoutant ta générosité. Ton mari ne regarde point comme à lui ce que tu lui as donné. D’Arthez m’a lu la lettre qu’il lui a écrite pour le prier d’être un des témoins de votre mariage : Marie Gaston y dit que son bonheur serait entier s’il n’avait pas eu de dettes à te laisser payer et s’il eût été riche. Une âme vierge n’est pas maîtresse de ne pas avoir de tels sentiments : ils sont ou ne sont pas ; et quand ils sont, leur délicatesse, leurs exigences se conçoivent. Il est tout simple que Gaston ait voulu lui-même en secret donner une existence convenable à la veuve de son frère, quand cette femme lui envoyait cent mille écus de sa propre fortune. Elle est belle, elle a du cœur, des manières distinguées, mais pas d’esprit. Cette femme est mère : n’est-ce pas dire que je m’y suis attachée aussitôt que je l’ai vue, en la trouvant un enfant au bras et l’autre habillé comme le baby d’un lord. Tout pour les enfants ! est écrit chez elle dans les moindres choses. Ainsi, loin d’en vouloir à ton adoré Gaston, tu n’as que de nouvelles raisons de l’aimer ! Je l’ai entrevu, il est le plus charmant jeune homme de Paris. Oh ! oui, chère enfant, j’ai bien compris en l’apercevant qu’une femme pouvait en être folle : il a la physionomie de son âme. À ta place, je prendrais au Chalet la veuve et les deux enfants, en leur faisant construire quelque délicieux cottage, et j’en ferais mes enfants ! Calme-toi donc, et prépare à ton tour cette surprise à Gaston.