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Gaston s’est tenu pendant deux heures environ écoutant mes sanglots, interrogeant avec une patience d’ange sa créature, qui ne lui répondait point. — Je vous reverrai quand mes yeux ne seront plus rouges et quand ma voix ne tremblera plus, lui ai-je dit enfin. Le vous l’a fait bondir hors de la maison. J’ai pris de l’eau glacée pour baigner mes yeux, j’ai rafraîchi ma figure, la porte de notre chambre s’est ouverte, je l’ai trouvé là, revenu sans que j’eusse entendu le bruit de ses pas. — Qu’as-tu ? m’a-t-il demandé. — Rien, lui dis-je. J’ai reconnu la boue de Paris aux jarrets fatigués de Fedelta, je n’ai pas compris que tu y allasses sans m’en prévenir ; mais tu es libre. — Ta punition pour tes doutes si criminels sera de n’apprendre mes motifs que demain, a-t-il répondu.

— Regarde-moi, lui ai-je dit. J’ai plongé mes yeux dans les siens : l’infini a pénétré l’infini. Non, je n’ai pas aperçu ce nuage que l’infidélité répand dans l’âme et qui doit altérer la pureté des prunelles. J’ai fait la rassurée, encore que je restasse inquiète. Les hommes savent, aussi bien que nous, tromper, mentir ! Nous ne nous sommes plus quittés. Oh ! chère, combien par moments, en le regardant, je me suis trouvée indissolublement attachée à lui. Quels tremblements intérieurs m’agitèrent quand il reparut après m’avoir laissée seule pendant un moment ! Ma vie est en lui, et non en moi. J’ai donné de cruels démentis à ta cruelle lettre. Ai-je jamais senti cette dépendance avec ce divin Espagnol, pour qui j’étais ce que cet atroce bambin est pour moi ? Combien je hais cette jument ! Quelle niaiserie à moi d’avoir eu des chevaux. Mais il faudrait aussi couper les pieds à Gaston, ou le détenir dans le cottage. Ces pensées stupides m’ont occupée, juge par là de ma déraison ? Si l’amour ne lui a pas construit une cage, aucun pouvoir ne saurait retenir un homme qui s’ennuie. — T’ennuyé-je ? lui ai-je dit à brûle-pourpoint. — Comme tu te tourmentes sans raison, m’a-t-il répondu les yeux pleins d’une douce pitié. Je ne t’ai jamais tant aimée. — Si c’est vrai, mon ange adoré, lui ai-je répliqué, laisse-moi faire vendre Fedelta. — Vends ! a-t-il dit. — Ce mot m’a comme écrasée, Gaston a eu l’air de me dire : Toi seule es riche ici, je ne suis rien, ma volonté n’existe pas. S’il ne l’a pas pensé, j’ai cru qu’il le pensait, et de nouveau je l’ai quitté pour m’aller coucher : la nuit était venue.

Oh ! Renée, dans la solitude, une pensée ravageuse vous conduit au suicide. Ces délicieux jardins, cette nuit étoilée, cette