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tandis que la tienne a grandi, a rayonné. L’amour est profondément égoïste, tandis que la maternité tend à multiplier nos sentiments. J’ai bien senti cette différence en lisant ta bonne, ta tendre lettre. Ton bonheur m’a fait envie en te voyant vivre dans trois cœurs ! Oui, tu es heureuse : tu as sagement accompli les lois de la vie sociale, tandis que je suis en dehors de tout. Il n’y a que des enfants aimants et aimés qui puissent consoler une femme de la perte de sa beauté. J’ai trente ans bientôt, et à cet âge une femme commence de terribles lamentations intérieures. Si je suis belle encore, j’aperçois les limites de la vie féminine ; après, que deviendrai-je ? Quand j’aurai quarante ans, il ne les aura pas, il sera jeune encore, et je serai vieille. Lorsque cette pensée pénètre dans mon cœur, je reste à ses pieds une heure, en lui faisant jurer, quand il sentira moins d’amour pour moi, de me le dire à l’instant. Mais c’est un enfant, il me le jure comme si son amour ne devait jamais diminuer, et il est si beau que… tu comprends ! je le crois. Adieu, cher ange, serons-nous encore pendant des années sans nous écrire ? Le bonheur est monotone dans ses expressions ; aussi peut-être est-ce à cause de cette difficulté que Dante paraît plus grand aux âmes aimantes dans son Paradis que dans son Enfer. Je ne suis pas Dante, je ne suis que ton amie, et tiens à ne pas t’ennuyer. Toi, tu peux m’écrire, car tu as dans tes enfants un bonheur varié qui va croissant, tandis que le mien… Ne parlons plus de ceci, je t’envoie mille tendresses.




LIII

DE MADAME DE L’ESTORADE À MADAME GASTON.


Ma chère Louise, j’ai lu, relu ta lettre, et plus je m’en suis pénétrée, plus j’ai vu en toi moins une femme qu’un enfant ; tu n’as pas changé, tu oublies ce que je t’ai dit mille fois : l’Amour est un vol fait par l’état social à l’état naturel ; il est si passager dans la nature, que les ressources de la société ne peuvent changer sa condition primitive ; aussi toutes les nobles âmes essaient-elles de faire un homme de cet enfant ; mais alors l’Amour devient, selon toi-