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toutes ces souillures qui gâtent tant de jeunes gens. Il a des dents magnifiques, il est d’une santé de fer. Son regard bleu si vif, mais pour moi d’une douceur magnétique, s’allume et brille comme un éclair quand son âme est agitée. Semblable à tous les gens forts et d’une puissante intelligence, il est d’une égalité de caractère qui te surprendrait comme elle m’a surprise. J’ai entendu bien des femmes me confier les chagrins de leur intérieur ; mais ces variations de vouloir, ces inquiétudes des hommes mécontents d’eux-mêmes, qui ne veulent pas ou ne savent pas vieillir, qui ont je ne sais quels reproches éternels de leur folle jeunesse, et dont les veines charrient des poisons, dont le regard a toujours un fond de tristesse, qui se font taquins pour cacher leurs défiances, qui vous vendent une heure de tranquillité pour des matinées mauvaises, qui se vengent sur nous de ne pouvoir être aimables, et qui prennent nos beautés en une haine secrète, toutes ces douleurs la jeunesse ne les connaît point, elles sont l’attribut des mariages disproportionnés. Oh ! ma chère, ne marie Athénaïs qu’avec un jeune homme. Si tu savais combien je me repais de ce sourire constant que varie sans cesse un esprit fin et délicat, de ce sourire qui parle, qui dans le coin des lèvres renferme des pensées d’amour, de muets remerciements, et qui relie toujours les joies passées aux présentes ! Il n’y a jamais rien d’oublié entre nous. Nous avons fait des moindres choses de la nature des complices de nos félicités : tout est vivant, tout nous parle de nous dans ces bois ravissants. Un vieux chêne moussu, près de la maison du garde sur la route, nous dit que nous nous sommes assis fatigués sous son ombre, et que Gaston m’a expliqué là les mousses qui étaient à nos pieds, m’a fait leur histoire, et que de ces mousses nous avons monté, de science en science, jusqu’aux fins du monde. Nos deux esprits ont quelque chose de si fraternel, que je crois que c’est deux éditions du même ouvrage. Tu le vois, je suis devenue littéraire. Nous avons tous deux l’habitude ou le don de voir chaque chose dans son étendue, d’y tout apercevoir, et la preuve que nous nous donnons constamment à nous-mêmes de cette pureté du sens intérieur, est un plaisir toujours nouveau. Nous en sommes arrivés à regarder cette entente de l’esprit comme un témoignage d’amour ; et si jamais elle nous manquait, ce serait pour nous ce qu’est une infidélité pour les autres ménages.

Ma vie, pleine de plaisirs, te paraîtrait d’ailleurs excessivement laborieuse. D’abord, ma chère, apprends que Louise-Armande-Ma-