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faire à demi ; dès lors, il a rendu de grands services dans la Chambre. Le voici maintenant arrivé à une situation où il restera tranquillement jusqu’à la fin de ses jours. Il a de la dextérité dans les affaires ; il est plus parleur agréable qu’orateur, mais cela suffit à ce que nous demandons à la politique. Sa finesse, ses connaissances soit en gouvernement soit en administration sont appréciées, et tous les partis le considèrent comme un homme indispensable. Je puis te dire qu’on lui a dernièrement offert une ambassade, mais je la lui ai fait refuser. L’éducation d’Armand, qui maintenant a treize ans, celle d’Athénaïs, qui va sur onze ans, me retiennent à Paris, et j’y veux demeurer jusqu’à ce que mon petit René ait fini la sienne, qui commence.

Pour rester fidèle à la branche aînée et retourner dans ses terres, il ne fallait pas avoir à élever et à pourvoir trois enfants. Une mère doit, mon ange, ne pas être Décius, surtout dans un temps où les Décius sont rares. Dans quinze ans d’ici, l’Estorade pourra se retirer à la Crampade avec une belle retraite, en installant Armand à la Cour des comptes, où il le laissera référendaire. Quant à René, la marine en fera sans doute un diplomate. À sept ans ce petit garçon est déjà fin comme un vieux cardinal.

Ah ! Louise, je suis une bienheureuse mère ! Mes enfants continuent à me donner des joies sans ombre. (Senza brama sicura richezza.) Armand est au collége Henri IV. Je me suis décidée pour l’éducation publique sans pouvoir me décider néanmoins à m’en séparer, et j’ai fait comme faisait le duc d’Orléans avant d’être et peut-être pour devenir Louis-Philippe. Tous les matins, Lucas, ce vieux domestique que tu connais, mène Armand au collége à l’heure de la première étude, et me le ramène à quatre heures et demie. Un vieux et savant répétiteur, qui loge chez moi, le fait travailler le soir et le réveille le matin à l’heure où les collégiens se lèvent. Lucas lui porte une collation à midi pendant la récréation. Ainsi, je le vois pendant le dîner, le soir avant son coucher, et j’assiste le matin à son départ. Armand est toujours le charmant enfant plein de cœur et de dévouement que tu aimes ; son répétiteur est content de lui. J’ai ma Naïs avec moi et le petit qui bourdonnent sans cesse, mais je suis aussi enfant qu’eux. Je n’ai pas pu me résoudre à perdre la douceur des caresses de mes chers enfants. Il y a pour moi dans la possibilité de courir, dès que je le désire, au lit d’Armand, pour le voir pendant son sommeil, ou pour aller pren-