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LI

DE LA COMTESSE DE L’ESTORADE À MADAME MARIE-GASTON.


1837.

Que deviens-tu, ma chère ? Après un silence de trois années, il est permis à Renée d’être inquiète de Louise. Voilà donc l’amour ! il emporte, il annule une amitié comme la nôtre. Avoue que si j’adore mes enfants plus encore que tu n’aimes ton Gaston, il y a dans le sentiment maternel je ne sais quelle immensité qui permet de ne rien enlever aux autres affections, et qui laisse une femme être encore amie sincère et dévouée. Tes lettres, ta douce et charmante figure me manquent. J’en suis réduite à des conjectures sur toi, ô Louise !

Quant à nous, je vais t’expliquer les choses le plus succinctement possible.

En relisant ton avant-dernière lettre, j’ai trouvé quelques mots aigres sur notre situation politique. Tu nous as raillés d’avoir gardé la place de président de chambre à la Cour des comptes, que nous tenions, ainsi que le titre de comte, de la faveur de Charles X ; mais est-ce avec quarante mille livres de rentes, dont trente appartiennent à un majorat, que je pouvais convenablement établir Athénaïs et ce pauvre petit mendiant de René ? Ne devions-nous pas vivre de notre place, et accumuler sagement les revenus de nos terres ? En vingt ans nous aurons amassé environ six cent mille francs, qui serviront à doter et ma fille et René, que je destine à la marine. Mon petit pauvre aura dix mille livres de rentes, et peut-être pourrons-nous lui laisser en argent une somme qui rende sa part égale à celle de sa sœur. Quand il sera capitaine de vaisseau, mon mendiant se mariera richement, et tiendra dans le monde un rang égal à celui de son aîné.

Ces sages calculs ont déterminé dans notre intérieur l’acceptation du nouvel ordre de choses. Naturellement, la nouvelle dynastie a nommé Louis pair de France et grand-officier de la Légion-d’Honneur. Du moment où l’Estorade prêtait serment, il ne devait rien