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duc de Lenoncourt. Le jeune de Mortsauf, à qui toute cette fortune devait revenir, est au dernier degré de la maladie de poitrine ; on attend sa mort de moment en moment. L’hiver prochain, après le deuil, le mariage aura lieu. J’aurai, dit-on, pour belle-sœur, une charmante personne dans Madeleine de Mortsauf. Ainsi, comme tu le vois, mon père avait raison dans son argumentation. Ce résultat m’a valu l’admiration de beaucoup de personnes, et mon mariage s’explique. Par affection pour ma grand’mère, le prince de Talleyrand prône Macumer, en sorte que notre succès est complet. Après avoir commencé par me blâmer, le monde m’approuve beaucoup. Je règne enfin dans ce Paris où j’étais si peu de chose il y a bientôt deux ans. Macumer voit son bonheur envié par tout le monde, car je suis la femme la plus spirituelle de Paris. Tu sais qu’il y a vingt plus spirituelles femmes de Paris à Paris. Les hommes me roucoulent des phrases d’amour ou se contentent de l’exprimer en regards envieux. Vraiment, il y a dans ce concert de désirs et d’admiration une si constante satisfaction de la vanité, que maintenant je comprends les dépenses excessives que font les femmes pour jouir de ces frêles et passagers avantages. Ce triomphe enivre l’orgueil, la vanité, l’amour-propre, enfin tous les sentiments du moi. Cette perpétuelle divinisation grise si violemment, que je ne m’étonne plus de voir les femmes devenir égoïstes, oublieuses et légères au milieu de cette fête. Le monde porte à la tête. On prodigue les fleurs de son esprit et de son âme, son temps le plus précieux, ses efforts les plus généreux, à des gens qui vous paient en jalousie et en sourires, qui vous vendent la fausse monnaie de leurs phrases, de leurs compliments et de leurs adulations contre les lingots d’or de votre courage, de vos sacrifices, de vos inventions pour être belle, bien mise, spirituelle, affable et agréable à tous. On sait combien ce commerce est coûteux, on sait qu’on y est volé ; mais on s’y adonne tout de même. Ah ! ma belle biche, combien on a soif d’un cœur ami, combien l’amour et le dévouement de Felipe sont précieux ! combien je t’aime ! Avec quel bonheur on fait ses apprêts de voyage pour aller se reposer à Chantepleurs des comédies de la rue du Bac et de tous les salons de Paris ! Enfin, moi qui viens de relire ta dernière lettre, je t’aurai peint cet infernal paradis de Paris en te disant qu’il est impossible à une femme du monde d’être mère.

À bientôt, chérie, nous nous arrêterons une semaine au plus à