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les bois sont à moulures creuses, à pieds de biche. Des guirlandes de fleurs richement sculptées et d’un beau caractère serpentent à travers les glaces et descendent le long en festons. Il y a sur les consoles de beaux cornets de la Chine. Le fond de l’ameublement est ponceau et blanc. Ma grand’mère était une brune fière et piquante, son teint se devine au choix de ses couleurs. J’ai retrouvé dans ce salon une table à écrire dont les figures avaient beaucoup occupé mes yeux autrefois ; elle est plaquée en argent ciselé ; elle lui a été donnée par un Lomellini de Gênes. Chaque côté de cette table représente les occupations de chaque saison ; les personnages sont en relief, il y en a des centaines dans chaque tableau. Je suis restée deux heures toute seule, reprenant mes souvenirs un à un, dans le sanctuaire où a expiré une des femmes de la cour de Louis XV les plus célèbres et par son esprit et par sa beauté. Tu sais comme on m’a brusquement séparée d’elle, du jour au lendemain, en 1816. — Allez dire adieu à votre grand’mère, me dit ma mère. J’ai trouvé la princesse, non pas surprise de mon départ, mais insensible en apparence. Elle m’a reçue comme à l’ordinaire. — « Tu vas au couvent, mon bijou, me dit-elle, tu y verras ta tante, une excellente femme. J’aurai soin que tu ne sois point sacrifiée, tu seras indépendante et à même de marier qui tu voudras. » Elle est morte six mois après ; elle avait remis son testament au plus assidu de ses vieux amis, au prince de Talleyrand, qui, en faisant une visite à mademoiselle de Chargebœuf, a trouvé le moyen de me faire savoir par elle que ma grand’mère me défendait de prononcer des vœux. J’espère bien que tôt ou tard je rencontrerai le prince ; et sans doute, il m’en dira davantage. Ainsi, ma belle biche, si je n’ai trouvé personne pour me recevoir, je me suis consolée avec l’ombre de la chère princesse, et je me suis mise en mesure de remplir une de nos conventions, qui est, souviens-t’en, de nous initier aux plus petits détails de notre case et de notre vie. Il est si doux de savoir où et comment vit l’être qui nous est cher ! Dépeins-moi bien les moindres choses qui t’entourent, tout enfin, même les effets du couchant dans les grands arbres.

10 octobre.

J’étais arrivée à trois heures après midi. Vers cinq heures et demie, Rose est venue me dire que ma mère était rentrée, et je