Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, II.djvu/112

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voirs ? Comment peut-on devoir ces fleurs de l’âme, ces roses de la vie, ces poèmes de la sensibilité exaltée, à un être qu’on n’aimerait pas ? Des droits dans de telles sensations ! mais elles naissent et s’épanouissent au soleil de l’amour, ou leurs germes se détruisent sous les froideurs de la répugnance et de l’aversion. À l’amour d’entretenir de tels prestiges ! Ô ma sublime Renée, je te trouve bien grande maintenant ! Je plie le genou devant toi, je m’étonne de ta profondeur et de ta perspicacité. Oui, la femme qui ne fait pas, comme moi, quelque secret mariage d’amour caché sous les noces légales et publiques, doit se jeter dans la maternité comme une âme à qui la terre manque se jette dans le ciel ! De tout ce que tu m’as écrit, il ressort un principe cruel : il n’y a que les hommes supérieurs qui sachent aimer. Je sais aujourd’hui pourquoi. L’homme obéit à deux principes. Il se rencontre en lui le besoin et le sentiment. Les êtres inférieurs ou faibles prennent le besoin pour le sentiment ; tandis que les êtres supérieurs couvrent le besoin sous les admirables effets du sentiment : le sentiment leur communique par sa violence une excessive réserve, et leur inspire l’adoration de la femme. Évidemment la sensibilité se trouve en raison de la puissance des organisations intérieures, et l’homme de génie est alors le seul qui se rapproche de nos délicatesses : il entend, devine, comprend la femme ; il l’élève sur les ailes de son désir contenu par les timidités du sentiment. Aussi, lorsque l’intelligence, le cœur et les sens également ivres nous entraînent, n’est-ce pas sur la terre que l’on tombe ; on s’élève alors dans les sphères célestes, et malheureusement on n’y reste pas assez long-temps. Telle est, ma chère âme, la philosophie des trois premiers mois de mon mariage. Felipe est un ange. Je puis penser tout haut avec lui. Sans figure de rhétorique, il est un autre moi. Sa grandeur est inexplicable : il s’attache plus étroitement par la possession, et découvre dans le bonheur de nouvelles raisons d’aimer. Je suis pour lui la plus belle partie de lui-même. Je le vois : des années de mariage, loin d’altérer l’objet de ses délices, augmenteront sa confiance, développeront de nouvelles sensibilités, et fortifieront notre union. Quel heureux délire ! Mon âme est ainsi faite que les plaisirs laissent en moi de fortes lueurs, ils me réchauffent, ils s’empreignent dans mon être intérieur : l’intervalle qui les sépare est comme la petite nuit des grands jours. Le soleil qui a doré les cimes à son coucher les retrouve presque chaudes à son lever. Par quel heureux hasard