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Tous les matins il m’apporte lui-même un bouquet d’une délicieuse magnificence, au milieu duquel je trouve toujours une lettre qui contient un sonnet espagnol à ma louange, fait par lui pendant la nuit.

Pour ne pas grossir ce paquet, je t’envoie comme échantillon le premier et le dernier de ses sonnets, que je t’ai traduits mot à mot en te les mettant vers par vers.


PREMIER SONNET.

Plus d’une fois, couvert d’une mince veste de soie, — l’épée haute, sans que mon cœur battît une pulsation de plus, — j’ai attendu l’assaut du taureau furieux, — et sa corne plus aiguë que le croissant de Phœbé.

J’ai gravi, fredonnant une seguidille andalouse, — le talus d’une redoute sous une pluie de fer ; — j’ai jeté ma vie sur le tapis vert du hasard — sans plus m’en soucier que d’un quadruple d’or.

J’aurais pris avec la main les boulets dans la gueule des canons ; — mais je crois que je deviens plus timide qu’un lièvre aux aguets ; — qu’un enfant qui voit un spectre aux plis de sa fenêtre.

Car, lorsque tu me regardes avec ta douce prunelle, — une sueur glacée couvre mon front, mes genoux se dérobent sous moi, — je tremble, je recule, je n’ai plus de courage.


DEUXIÈME SONNET.

Cette nuit, je voulais dormir pour rêver de toi ; — mais le sommeil jaloux fuyait mes paupières ; — je m’approchai du balcon, et je regardai le ciel : — lorsque je pense à toi, mes yeux se tournent toujours en haut.

Phénomène étrange, que l’amour peut seul expliquer, — le firmament avait perdu sa couleur de saphir ; — les étoiles, diamants éteints dans leur monture d’or, — ne lançaient que des œillades mortes, des rayons refroidis.

La lune, nettoyée de son fard d’argent et de lis, — roulait tristement sur le morne horizon, — car tu as dérobé au ciel toutes ses splendeurs.

La blancheur de la lune luit sur ton front charmant, — tout l’azur du ciel s’est concentré dans tes prunelles, — et tes cils sont formés par les rayons des étoiles.


Peut-on prouver plus gracieusement à une jeune fille qu’on ne s’occupe que d’elle ? Que dis-tu de cet amour qui s’exprime en prodiguant les fleurs de l’intelligence et les fleurs de la terre ? Depuis