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lienne et l’Italien parlèrent avec une si grande vivacité, dans un dialecte si peu connu d’un homme qui savait à peine l’italien des livres, et n’était pas allé en Italie, que Rodolphe ne put rien entendre ni deviner de cette conversation. La beauté de Tito, la familiarité de Francesca, l’air de joie de Gina, tout le chagrinait. D’ailleurs il n’est pas d’amoureux qui ne soit mécontent de se voir quitter pour quoi que ce soit. Tito jeta vivement un petit sac de peau, sans doute plein d’or, à Gina, puis un paquet de lettres à Francesca qui se mit à les lire en faisant un geste d’adieu à Tito.

— Retournez promptement à Gersau, dit-elle aux bateliers. Je ne veux pas laisser languir mon pauvre Emilio dix minutes de trop.

— Que vous arrive-t-il ? demanda Rodolphe quand il vit l’Italienne achevant sa dernière lettre.

La liberta ! fit-elle avec un enthousiasme d’artiste.

E denaro ! répondit comme un écho Gina qui pouvait enfin parler.

— Oui, reprit Francesca, plus de misère ! Voici plus de onze mois que je travaille, et je commençais à m’ennuyer. Je ne suis décidément pas une femme littéraire.

— Quel est ce Tito ? fit Rodolphe.

— Le secrétaire d’état au département des finances de la pauvre boutique de Colonna, autrement dit le fils de notre ragyionato. Pauvre garçon ! il n’a pu venir par le Saint-Gothard, ni par le Mont-Cenis, ni par le Simplon : il est venu par mer, par Marseille, il a dû traverser la France. Enfin, dans trois semaines, nous serons à Genève, et nous y vivrons à l’aise. Allons, Rodolphe, dit-elle en voyant la tristesse se peindre sur le visage du Parisien, le lac de Genève ne vaudra-t-il pas bien le lac des Quatre-Cantons ?…

— Permettez-moi d’accorder un regret à cette délicieuse maison Bergmann, dit Rodolphe en montrant le promontoire.

— Vous viendrez dîner avec nous, pour y multiplier vos souvenirs, povero mio, dit-elle. C’est fête aujourd’hui, nous ne sommes plus en danger. Ma mère me dit que dans un an, peut-être, nous serons amnistiés. Oh ! la cara patria…

Ces trois mots firent pleurer Gina qui dit : — Encore un hiver, je serais morte ici !

— Pauvre petite chèvre de Sicile ! fit Francesca en passant sa main sur la tête de Gina par un geste et avec une affection qui firent désirer à Rodolphe d’être ainsi caressé, quoique ce fût sans amour.