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à l’amant ; mais la Cause n’est-elle pas, aux yeux de quelques âmes privilégiées et pour certains penseurs gigantesques, supérieure à la Nature ? La Cause, c’est Dieu. Dans cette sphère des causes vivent les Newton, les Laplace, les Kepler, les Descartes, les Malebranche, les Spinosa, les Buffon, les vrais poètes et les solitaires du second âge chrétien, les sainte Thérèse de l’Espagne et les sublimes extatiques. Chaque sentiment humain comporte des analogies avec cette situation où l’esprit abandonne l’Effet pour la Cause, et Thaddée avait atteint à cette hauteur où tout change d’aspect. En proie à des joies de créateur indicibles, Thaddée était en amour ce que nous connaissons de plus grand dans les fastes du génie.

— Non, elle n’est pas entièrement trompée, se disait-il en suivant la fumée de sa pipe. Elle pourrait me brouiller sans retour avec Adam si elle me prenait en grippe ; et si elle coquettait pour me tourmenter, que deviendrais-je ?

La fatuité de cette dernière supposition était si contraire au caractère modeste et à l’espèce de timidité germanique du capitaine, qu’il se gourmanda de l’avoir eue et se coucha résolu d’attendre les événements avant de prendre un parti.

Le lendemain, Clémentine déjeuna très-bien sans Thaddée, et sans s’apercevoir de son manque d’obéissance. Ce lendemain se trouva son jour de réception, qui, chez elle, comportait une splendeur royale. Elle ne fit pas attention à l’absence du capitaine sur qui roulaient les détails de ces journées d’apparat.

— Bon ! se dit-il en entendant les équipages s’en aller sur les deux heures du matin, la comtesse n’a eu qu’une fantaisie ou une curiosité de Parisienne.

Le capitaine reprit donc ses allures ordinaires pour un moment dérangées par cet incident. Détournée par les préoccupations de la vie parisienne, Clémentine parut avoir oublié Paz. Pense-t-on, en effet, que ce soit peu de chose que de régner sur cet inconstant Paris ? Croirait-on, par hasard, qu’à ce jeu suprême on risque seulement sa fortune ? Les hivers sont pour les femmes à la mode ce que fut jadis une campagne pour les militaires de l’empire. Quelle œuvre d’art et de génie qu’une toilette ou une coiffure destinées à faire sensation ! Une femme frêle et délicate garde son dur et brillant harnais de fleurs et de diamants, de soie et d’acier, de neuf heures du soir à deux et souvent trois heures du matin. Elle mange peu pour attirer le regard sur une taille fine ; à la faim qui la saisit