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ter au récit d’événements antérieurs, mais dont le dernier se rattache à la mort de madame Crochard. Ces deux parties formeront alors une même histoire qui, par une loi particulière à la vie parisienne, avait produit deux actions distinctes.

Vers la fin du mois de mars 1806, un jeune avocat, âgé d’environ vingt-six ans, descendait vers trois heures du matin le grand escalier de l’hôtel où demeurait l’Archi-Chancelier de l’Empire. Arrivé dans la cour, en costume de bal, par une fine gelée, il ne put s’empêcher de jeter une douloureuse exclamation où perçait néanmoins cette gaieté qui abandonne rarement un Français, car il n’aperçut pas de fiacre à travers les grilles de l’hôtel, et n’entendit dans le lointain aucun de ces bruits produits par les sabots ou par la voix enrouée des cochers parisiens. Quelques coups de pied frappés de temps en temps par les chevaux du Grand-Juge que le jeune homme venait de laisser à la bouillotte de Cambacérès retentissaient dans la cour de l’hôtel à peine éclairée par les lanternes de la voiture. Tout à coup le jeune homme, amicalement frappé sur l’épaule, se retourna, reconnut le Grand-Juge et le salua. Au moment où le laquais dépliait le marche-pied du carrosse, l’ancien législateur de la Convention devina l’embarras de l’avocat.

— La nuit tous les chats sont gris, lui dit-il gaiement. Le Grand-Juge ne se compromettra pas en mettant un avocat dans son chemin ! Surtout, ajouta-t-il, si cet avocat est le neveu d’un ancien collègue, l’une des lumières de ce grand Conseil-d’État qui a donné le Code Napoléon à la France.

Le piéton monta dans la voiture sur un geste du chef suprême de la justice impériale.

— Où demeurez-vous ? demanda le ministre à l’avocat avant que la portière ne fût refermée par le valet de pied qui attendait l’ordre.

— Quai des Augustins, monseigneur.

Les chevaux partirent, et le jeune homme se vit en tête-à-tête avec un ministre auquel il avait tenté vainement d’adresser la parole avant et après le somptueux dîner de Cambacérès, car le Grand-Juge l’avait visiblement évité pendant toute la soirée.

— Eh ! bien, monsieur de Granville, vous êtes en assez beau chemin !

— Mais, tant que je serai à côté de Votre Excellence…