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Bartholoméo di Piombo se leva, chancela, fut obligé de s’appuyer sur une chaise et regarda sa femme. Élisa Piombo vint à lui ; puis les deux vieillards silencieux se donnèrent le bras et sortirent du salon en abandonnant leur fille avec une sorte d’horreur. Luigi Porta stupéfait regarda Ginevra, qui devint aussi blanche qu’une statue de marbre et resta les yeux fixés sur la porte vers laquelle son père et sa mère avaient disparu : ce silence et cette retraite eurent quelque chose de si solennel que, pour la première fois peut-être, le sentiment de la crainte entra dans son cœur. Elle joignit ses mains l’une contre l’autre avec force, et dit d’une voix si émue qu’elle ne pouvait guère être entendue que par un amant : — Combien de malheur dans un mot !

— Au nom de notre amour, qu’ai-je donc dit, demanda Luigi Porta.

— Mon père, répondit-elle, ne m’a jamais parlé de notre déplorable histoire, et j’étais trop jeune quand j’ai quitté la Corse pour la savoir.

— Nous serions en vendetta, demanda Luigi en tremblant.

— Oui. En questionnant ma mère, j’ai appris que les Porta avaient tué mes frères et brûlé notre maison. Mon père a massacré toute votre famille. Comment avez-vous survécu, vous qu’il croyait avoir attaché aux colonnes d’un lit avant de mettre le feu à la maison ?

— Je ne sais, répondit Luigi. À six ans j’ai été amené à Gênes, chez un vieillard nommé Colonna. Aucun détail sur ma famille ne m’a été donné. Je savais seulement que j’étais orphelin et sans fortune. Ce Colonna me servait de père, et j’ai porté son nom jusqu’au jour où je suis entré au service. Comme il m’a fallu des actes pour prouver qui j’étais, le vieux Colonna m’a dit alors que moi, faible et presque enfant encore, j’avais des ennemis. Il m’a engagé à ne prendre que le nom de Luigi pour leur échapper.

— Partez, partez, Luigi, s’écria Ginevra ; mais non, je dois vous accompagner. Tant que vous êtes dans la maison de mon père, vous n’avez rien à craindre ; aussitôt que vous en sortirez, prenez bien garde à vous ! vous marcherez de danger en danger. Mon père a deux Corses à son service, et si ce n’est pas lui qui menacera vos jours, c’est eux.

— Ginevra, dit-il, cette haine existera-t-elle donc entre nous ?

La jeune fille sourit tristement et baissa la tête. Elle la releva