Page:Œuvres complètes de Guy de Maupassant, XVI.djvu/278

Cette page n’a pas encore été corrigée

la vieille race naïve accoutumée à ne pas comprendre, à ne pas chercher, à ne pas savoir, faite aux mystères environnants et qui se refuse à la simple et nette vérité.

Oui, Monsieur, on a dépeuplé l’imagination en surprenant l’invisible. Notre terre m’apparaît aujourd’hui comme un monde abandonné, vide et nu. Les croyances sont parties qui la rendaient poétique. Quand je sors la nuit, comme je voudrais frissonner de cette angoisse qui fait se signer les vieilles femmes le long des murs des cimetières et se sauver les derniers superstitieux devant les vapeurs étranges des marais et les fantasques feux follets ! Comme je voudrais croire à ce quelque chose de vague et de terrifiant qu’on s’imaginait sentir passer dans l’ombre.

Comme l’obscurité des soirs devait être sombre, terrible, autrefois, quand elle était pleine d’êtres fabuleux, inconnus, rôdeurs méchants, dont on ne pouvait deviner les formes, dont l’appréhension glaçait le cœur, dont la puissance occulte passait les bornes de notre pensée, et dont l’atteinte était inévitable ?

Avec le surnaturel, la vraie peur a disparu