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pour 100, des ouvriers habiles, disposés à travailler seize heures par jour. — Fort bien ! à quoi cela aboutit-il ? À fournir à l’ouvrier, pour 50 centimes, le couteau ou le calicot qui, sans cela, lui coûteraient 3 francs. Quel est le vrai gagnant ?

— Les Polonais ont un sol fertile, qui ne coûte rien d’achat et presque rien de culture. Eux-mêmes se contentent d’une chétive rémunération, en sorte qu’ils peuvent inonder la France de blé à 8 francs l’hectolitre. — Je ne crois pas le fait, mais supposons-le vrai ; que faut-il en conclure ? Que le pain en France sera à bon marché. Or à qui profite le bon marché ? Est-ce au vendeur ou à l’acheteur ? Si c’est à l’acheteur, quelle n’est pas l’inconséquence de la loi française d’interdire à la population française l’achat du blé polonais, sur le fondement qu’il ne coûte presque rien !

On dit que le travail s’arrêterait, en France, faute d’aliment, si l’étranger était admis à pourvoir à tous nos besoins. — Oui, si les besoins et les désirs de l’homme n’étaient pas illimités. L’éternel cercle vicieux de nos adversaires est celui-ci : ils supposent que la production générale est une quantité invariable, et apercevant que, grâce à l’échange, elle sera obtenue avec une réduction de travail, ils se demandent ce que deviendra cette portion de travail surabondant.

Ce qu’il deviendra ? — Ce qu’est devenu le travail que la bonne nature a mis en disponibilité quand elle nous a donné gratuitement de l’air, de l’eau, de la lumière.

Ce qu’est devenu le travail que l’imprimerie a rendu inutile pour un nombre donné d’exemplaires d’un même livre, lorsqu’elle s’est substituée au procédé des copistes.

Ce que devient mon travail, quand le boulanger avec une heure de peine m’en épargne six ; ce que devient le vôtre, quand le tailleur vous fait, en un jour, l’habit qui vous prendrait un mois, si vous le faisiez vous-même.