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la guerre civile, à la guerre du pauvre contre le riche. Le pauvre demande plus que ce qui est juste ; le riche ne veut pas accorder même ce qui est juste. Voilà le danger. On a repoussé l’impôt progressif avec la richesse, et l’on a eu raison ; mais on maintient l’impôt progressif avec la misère, et par là on fournit de bons arguments au peuple. Personne ne sait mieux que moi combien il fait de réclamations absurdes, mais je sais aussi qu’il a des griefs fondés. La simple prudence, à défaut d’équité, me traçait donc la conduite à suivre. Combattre les exigences chimériques du peuple, faire droit à ses requêtes fondées. Mais, hélas ! la notion de justice est faussée dans l’esprit des pauvres, et le sentiment de justice est éteint dans le cœur du riche. J’ai donc dû m’aliéner les deux classes. Il ne me reste qu’à me résigner.

Puissé-je être un faux prophète ! Avant février, je disais[1] : « Une résistance toujours croissante dans le Ministère, un mouvement toujours plus actif dans l’opposition, cela ne peut finir que par un déchirement. Cherchons le point où est la justice, il nous sauvera. » Je ne me suis pas trompé. Les deux partis ont persisté, et la révolution s’est faite.

Aujourd’hui je dis : Le pauvre demande trop, le riche n’accorde pas assez, cherchons la justice ; c’est là qu’est la conciliation et la sécurité ! — Mais les partis persistent, et nous aurons la guerre sociale.

Nous l’aurons, je le crains bien, dans des conditions fâcheuses, car plus on refuse au peuple ce qui est équitable, plus ou donne de force morale et matérielle à sa cause. Aussi elle fait des progrès effrayants. Ces progrès sont masqués par une réaction momentanée et déterminée par le besoin général de sécurité ; mais ils sont réels. L’explosion sera retardée, mais elle éclatera.

J’en étais là de ma lettre, quand j’en ai reçu une de nos

  1. Ceci nous donne la date de la profession de foi en forme de lettre à MM. Tonnelier, Degon, Bergeron etc. Fin du tome Ier. (Note de l’édit.)