Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 7.djvu/366

Cette page a été validée par deux contributeurs.

toujours pensé qu’aucune réforme ne pouvait être considérée comme mûre, ayant de profondes racines, en un mot, comme utile, que lorsqu’un long débat lui avait concilié l’opinion des masses.

C’est sur ce principe que j’ai agi relativement à la liberté commerciale. Je ne me suis pas adressé au pouvoir, mais au public et me suis efforcé de le ramener à mon avis. Je considérerais la liberté commerciale comme un présent funeste si elle était décrétée avant que la raison publique la réclame. Je vous jure sur mon honneur que si j’étais sorti des barricades membre du gouvernement provisoire, avec une dictature illimitée, je n’en aurais pas profité, à l’exemple de Louis Blanc, pour imposer à mes concitoyens mes vues personnelles. La raison en est simple : c’est qu’à mes yeux une réforme ainsi introduite par surprise n’a aucun fondement solide et succombe à la première occasion. Il en est de même de la question que vous me proposez. Cela dépendrait de moi que je n’accomplirais pas violemment la séparation de l’Église et de l’État ; non que cette séparation ne me paraisse bonne en soi, mais parce que l’opinion publique, qui est la reine du monde, selon Pascal, la repousse encore. C’est cette opinion qu’il faut conquérir. Sur cette question et sur quelques autres, il ne m’en coûtera pas de rester toute ma vie peut-être dans une imperceptible minorité. Un jour viendra, je le crois, où le clergé lui-même sentira le besoin, par une nouvelle transaction avec l’État, de reconquérir son indépendance.

En attendant, j’espère que mon opinion, qu’on peut considérer comme purement spéculative, et qui, en tout cas, est bien loin d’être hostile à la religion, ne me fera pas perdre l’honneur de votre suffrage. Si cependant vous croyez devoir me le retirer, je ne regretterai pas pour cela de vous avoir répondu sincèrement.

Votre dévoué compatriote, etc.