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l’humanité en deux parts. D’un côté l’État, le pouvoir dirigeant, qu’ils supposent infaillible, impeccable, dénué de tout sentiment de personnalité ; de l’autre le peuple, n’ayant plus besoin de prévoyance ni de garanties.

Pour réaliser leurs plans, ils sont réduits à confier la direction du monde à une puissance prise, pour ainsi dire, en dehors de l’humanité. Ils inventent un mot : l’État. Ils supposent que l’État est un être existant par lui-même, possédant des richesses inépuisables, indépendantes de celles de la société ; qu’au moyen de ces richesses, l’État peut fournir du travail à tous, assurer l’existence de tous. Ils ne prennent pas garde que l’État ne peut jamais que rendre à la société des biens qu’il a commencé par lui prendre ; qu’il ne peut même lui en rendre qu’une partie ; que de plus l’État est composé d’hommes, et que ces hommes portent aussi en eux-mêmes le sentiment de la personnalité, enclin chez eux, comme chez les gouvernés, à dégénérer en abus ; qu’une des plus grandes tentations pour que la personnalité d’un homme froisse celle de ses semblables, c’est que cet homme soit puissant, en mesure de vaincre les résistances. Les socialistes, à la vérité, espèrent sans doute, quoiqu’ils ne s’expliquent guère à ce sujet, que l’État sera soutenu par des institutions, par les lumières, la prévoyance, la surveillance assidue et sévère des masses. Mais, s’il en est ainsi, il faut que ces masses soient éclairées et prévoyantes ; et le système que j’examine tend précisément à détruire la prévoyance dans les masses, puisqu’il charge l’État de pourvoir à toutes les nécessités, de combattre tous les obstacles, de prévoir pour tout le monde.

Mais, dira-t-on, si le sentiment de la personnalité est indestructible, s’il a une pente funeste à dégénérer en abus, si la force qui le réprime n’est pas en nous, mais hors de nous, s’il n’est contenu dans de justes bornes que par la résistance et la réaction des autres personnalités, si les