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cette large base. Aussi, en général, les deux partis sont extrêmes et exclusifs. On veut tout ou rien, parce qu’on sent, des deux côtés, que concéder quelque chose, si peu que ce soit, c’est concéder le principe. Sans doute, dans le vote, il y a quelquefois transaction. On est bien forcé d’accommoder les réformes au temps et aux circonstances ; mais dans les débats on ne transige pas, et la règle invariable de la démocratie est celle-ci : Prendre tout ce qu’on lui accorde et continuer à demander le reste. — Et même elle a eu l’occasion d’apprendre que le plus sûr pour elle est d’exiger tout, pendant cinquante ans s’il le faut, plutôt que de se contenter d’un peu, au bout de quelques sessions.

Aussi les anglophobes les plus prononcés ne peuvent pas se dissimuler que les réformes, en Angleterre, portent un cachet de radicalisme, et par là de grandeur, qui étonne et subjugue l’esprit.

L’abolition de l’esclavage a été emportée tout d’une pièce. À un jour marqué, à une minute déterminée, les fers sont tombés des bras des pauvres noirs dans toutes les possessions de la Grande-Bretagne. On raconte que, dans la nuit du 31 juillet 1838, les esclaves s’étaient rassemblés dans les églises de la Jamaïque. Leur pensée, leur cœur, leur vie tout entière semblaient attachés à l’aiguille de l’horloge. Vainement le prêtre s’efforçait de fixer leur attention sur les plus imposants sujets qui puissent captiver l’intelligence humaine. Vainement il leur parlait de la bonté de Dieu et de leurs futures destinées. Il n’y avait qu’une seule âme dans l’auditoire, et cette âme était dans une fiévreuse attente. Lorsque le marteau fit retentir le premier coup de minuit, un cri de joie, comme jamais oreille humaine n’en avait entendu, ébranla les voûtes du temple. La parole et le geste manquaient à ces pauvres créatures pour donner passage à l’exubérance de leur bonheur. Ils se précipitaient en pleurant dans les bras les uns des autres, jusqu’à ce que, ce