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bons mots que deux langues n’y suffisaient pas, et où la douce familiarité, la longue intimité remplaçaient bien les belles manières ; ni ta basse qui semblait renouveler sans cesse la source de tes idées ; ni mon amitié ; ni cet empire absolu sur tes actions, tes heures, tes études, le plus précieux des biens peut-être. Tu as quitté le village et te voilà à Paris, dans ce tourbillon où comme dit Hugo :

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Frédéric, nous sommes accoutumés à nous parler à cœur ouvert ; eh bien ! je dois te le dire, ta résolution m’étonne, je dis plus, je ne saurais l’approuver. Tu t’es laissé séduire par l’amour de la renommée, je ne veux pas dire de la gloire, et tu sais bien pourquoi. Combien de fois n’avons-nous pas dit que désormais la gloire ne serait plus le prix que d’intelligences d’une immense supériorité ! Il ne suffit plus d’écrire avec pureté, avec grâce, avec chaleur ; dix mille personnes en France écrivent ainsi. Il ne suffit pas d’avoir de l’esprit ; l’esprit court les rues. Ne te souvient-il pas qu’en lisant les moindres feuilletons, souvent si dépourvus de bon sens et de logique, mais presque toujours si étincelants de verve, si riches d’imagination, nous nous disions : bien écrire va devenir une faculté commune à l’espèce, comme bien marcher et bien s’asseoir. Comment songer à la gloire avec le spectacle que tu as sous les yeux ? Qui pense aujourd’hui à Benjamin Constant, à Manuel ? Que sont devenues ces renommées qui semblaient ne devoir jamais périr ?

À de si grands esprits te crois-tu comparable ?

As-tu fait leurs études ? Possèdes-tu leurs vastes facultés ? As-tu passé comme eux toute ta vie au milieu de la société la plus spirituelle ? As-tu les mêmes occasions de te faire connaître, la même tribune ; es-tu entouré au besoin de la même camaraderie ? Tu me diras peut-être que si tu ne parviens à briller par tes écrits tu te distingueras par tes ac-