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Et, après tout, ne serait-il pas bien naturel que les choses se passassent ainsi ?

De quoi est-il question ? S’agit-il de rendre service à M. un tel, de le favoriser, de le mettre sur le chemin de la fortune ?

Non, il s’agit de nous donner un mandataire qui ait notre confiance. Ne serait-il pas bien simple que nous nous donnassions la peine de le chercher ?

Il s’agissait d’une importante tutelle. Un nombreux conseil de famille était réuni dans le prétoire. Un homme arrive hors d’haleine, couvert de sueur, après avoir crevé plusieurs chevaux. Nul ne le connaît personnellement. Tout ce que l’on en sait, c’est qu’il gère au loin les propriétés des mineurs et que bientôt il va avoir des comptes à rendre. Cet homme supplie qu’on le nomme tuteur. Il s’adresse aux parents paternels, et puis aux parents maternels. Il fait longuement son propre éloge ; il parle de sa probité, de sa fortune, de ses alliances ; il prie, il promet, il menace. On lit sur ses traits une anxiété profonde, un désir immodéré de réussir. Vainement lui objecte-t-on que la tutelle est très-chargée ; qu’elle prendra beaucoup sur le temps, sur la fortune, sur les affaires de celui à qui elle sera imposée. — Il lève toutes les difficultés. Son temps, il ne demande pas mieux que de le consacrer au service des pauvres orphelins ; — sa fortune, il est prêt à en faire le sacrifice, tant il se sent dans le cœur un désintéressement héroïque ; — ses affaires, il les verra péricliter d’un œil stoïque, pourvu que celles des mineurs prospèrent en ses mains. — Mais vous gérez leur fortune. — Raison de plus ; je me rendrai des comptes à moi-même, et qui est plus en mesure de les examiner que celui qui les a faits ?

Je le demande, le conseil de famille agirait-il d’une manière raisonnable en confiant à ce solliciteur empressé les fonctions qu’il demande ?