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raît au premier coup d’œil, pourrait sourire à beaucoup de pères de famille ?

Car enfin de quoi s’agit-il ? de composer ce bagage intellectuel qui nourrira ces enfants dans le rude voyage de la vie. Quelques-uns sont appelés à défendre, à éclairer, à moraliser, à représenter, à administrer le peuple, à développer, à perfectionner nos institutions et nos lois, le plus grand nombre, de beaucoup, devra chercher dans le travail et l’industrie les moyens de vivre et de faire vivre femme et enfants.

Et, dites-moi, est-ce dans Horace et dans Ovide qu’ils apprendront ces choses ? Pour être un bon agriculteur, faut-il passer dix ans à apprendre à lire les Georgiques ? Pour mériter les épaulettes, est-il nécessaire d’user sa jeunesse à déchiffrer Xénophon ? Pour devenir homme d’État, pour s’imprégner des mœurs, des idées et des nécessités de notre époque, faut-il se plonger pendant vingt ans dans la vie romaine, se faire les contemporains des Lucullus et des Messaline, respirer le même air que les Brutus et les Gracques ?

Non seulement ce long séjour de l’enfance dans le passé ne l’initie pas au présent, mais il l’en dégoûte ; il fausse son jugement, il ne prépare qu’une génération de rhéteurs, de factieux et d’oisifs.

Car qu’y a-t-il de commun entre la Rome antique et la France moderne ? Les Romains vivaient de rapine, et nous vivons d’industrie ; ils méprisaient et nous honorons le travail ; ils laissaient aux esclaves la tâche de produire, et c’est justement la tâche dont nous sommes chargés ; ils étaient organisés pour la guerre et nous pour la paix, eux pour la spoliation et nous pour le commerce ; ils aspiraient à la domination, et nous tendons à la fusion des peuples.

Et comment voulez-vous que ces jeunes hommes échappés de Sparte et de Rome ne troublent pas notre siècle de