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mesure législative qui rend la vie matérielle difficile nuit à la vie morale des nations, harmonie que je signale en passant à l’attention du lecteur.

Et, puisque l’occasion s’en présente, j’en signalerai une autre.

Puisque les nécessités irrémissibles de la vie matérielle sont un obstacle à la culture intellectuelle et morale, il s’ensuit que l’on doit trouver plus de vertus chez les nations et parmi les classes aisées que parmi les nations et les classes pauvres. Bon Dieu ! que viens-je de dire, et de quelles clameurs ne suis-je pas assourdi ! C’est une véritable manie, de nos jours, d’attribuer aux classes pauvres le monopole de tous les dévouements, de toutes les abnégations, de tout ce qui constitue dans l’homme la grandeur et la beauté morale ; et cette manie s’est récemment développée encore sous l’influence d’une révolution qui, faisant arriver ces classes à la surface de la société, ne pouvait manquer de susciter autour d’elles la tourbe des flatteurs.

Je ne nie pas que la richesse, et surtout l’opulence, principalement quand elle est très-inégalement répartie, ne tende à développer certains vices spéciaux.

Mais est-il possible d’admettre d’une manière générale que la vertu soit le privilége de la misère, et le vice le triste et fidèle compagnon de l’aisance ? Ce serait affirmer que la culture intellectuelle et morale, qui n’est compatible qu’avec un certain degré de loisir et de bien-être, tourne au détriment de l’intelligence et de la moralité.

Et ici, j’en appelle à la sincérité des classes souffrantes elles-mêmes. À quelles horribles dissonances ne conduirait pas un tel paradoxe ?

Il faudrait donc dire que l’humanité est placée dans cette affreuse alternative, ou de rester éternellement misérable, ou de s’avancer vers l’immoralité progressive. Dès lors toutes les forces qui conduisent à la richesse, telles que l’activité,