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dans l’avenir. Aura-t-il celle d’anéantir la souffrance dans le passé ? Or l’infini n’a pas de limite ; et s’il y a eu sur la terre un seul malheureux depuis la création, cela suffit pour rendre le problème de l’infinie bonté de Dieu insoluble à leur point de vue.

Ne rattachons donc pas la science du fini aux mystères de l’infini. Appliquons à l’une l’observation et la raison ; laissons les autres dans le domaine de la révélation et de la foi.

Sous tous les rapports, à tous les points de vue, l’homme est imparfait. Sur cette terre du moins, il rencontre des limites dans toutes les directions et touche au fini par tous les points. Sa force, son intelligence, ses affections, sa vie n’ont rien d’absolu et tiennent à un appareil matériel sujet à la fatigue, à l’altération, à la mort.

Non-seulement cela est ainsi, mais notre imperfection est si radicale que nous ne pouvons même nous figurer une perfection quelconque en nous ni hors de nous. Notre esprit a si peu de proportion avec cette idée, qu’il fait de vains efforts pour la saisir. Plus il l’étreint, plus elle lui échappe et se perd en inextricables contradictions. Montrez-moi un homme parfait ; vous me montrerez un homme qui ne peut souffrir, qui par conséquent n’a ni besoins, ni désirs, ni sensations, ni sensibilité, ni nerfs, ni muscles ; qui ne peut rien ignorer, et par conséquent n’a ni attention, ni jugement, ni raisonnement, ni mémoire, ni imagination, ni cerveau ; en un mot vous me montrerez un être qui n’est pas.

Ainsi, sous quelque aspect que l’on considère l’homme, il faut voir en lui un être sujet à la douleur. Il faut admettre que le mal est entré comme ressort dans le plan providentiel ; et, au lieu de chercher les chimériques moyens de l’anéantir, il s’agit d’étudier son rôle et sa mission.

Quand il a plu à Dieu de créer un être composé de besoins et de facultés pour y satisfaire, ce jour-là il a été décidé que cet être serait assujetti à la souffrance ; car sans la souf-